Ça va jazzer

https://www.jazzradio.fr/

mercredi 7 février 2018

Faits divers d'hiver

Effets et effroi du froid
                                Le froid n'est plus ce qu'il était, dit-on.
          Mais l'hiver n'est pas mort, chez nous comme aux USA hier, comme en Scandinavie aujourd'hui.
   Il y a deux ans, comme en 1956, février fut rude. On ne peut en tirer aucune conclusion trumpienne. .On ne peut confondre climat ici et maintenant et changement climatique sur le long terme et différencié.
      Le climat n'a de sens que pour l'homme qui le subit et/ou s'y adapte.
                    Il n'existe qu'au cours d'une histoire dépassant l'échelle humaine.
        Tout jugement sur le climat à un moment donné de l'histoire, à un endroit donné, ne peut être que relativisé, comme est relative chaque épisode que nous nommons conventionnellement saison.
    Aujourd'hui, on entend répéter qu'il n' y a plus de saison, qu'il fait froid (après avoir fait trop doux, l'année précédente); mais ça ne date pas d'hier !
     L'illusion, du moins en parole, est toujours la même, à moins de prendre du recul et de relativiser.
                                       « Il y eut cette année un hiver extraordinairement glacial et neigeux, à tel point que les communications des routes et la navigation du Tibre furent suspendues; cependant des approvisionnements considérables, ménagés d'avance, permirent de ne point hausser le prix des vivres ». Ainsi l'historien Tite-Live, mort en 17 de notre ère, décrit-il l'hiver particulièrement rigoureux qui aurait sévi en 399 avant notre ère, avec les conséquences habituelles : disette et cherté des vivres.
      Les grandes froidures ne provoquent pas seulement une spéculation sur les céréales. Elles peuvent aussi entraîner des famines meurtrières. Ce fut souvent le cas du haut Moyen Âge au siècle des Lumières, le XVIIIe siècle.
     Elles ont aussi parfois des conséquences géopolitiques inattendues. C'est ainsi que le 31 décembre 406, les Vandales, accompagnés des Alains et Suèves, passent en Gaule en traversant le Rhin qui avait exceptionnellement gelé cette année-là. Depuis plusieurs années, ces peuples germaniques, poussés par l'avance des Huns à l'est de l'Europe, tentaient de pénétrer dans l'Empire romain. Jusque là, ils avaient été repoussés, en particulier par les Francs alliés à Rome, qui leur avaient causé des lourdes pertes à proximité du Danube. On les retrouve en cette fin décembre 406 bien plus au nord puisqu'ils passent le Rhin en face de Mayence, qu'ils mettent ensuite à sac.
   Les troupes impériales, accaparées par les luttes intestines et les menaces d'autres peuples, au premier rang desquels les Goths, se montrent incapables, et même peu désireuses, de réagir. Dans les mois et années qui suivent, elles laissent les assaillants s'en prendre aux villes de la région (Reims, Trêves), puis se répandre dans toute la Gaule, avant de passer en Espagne en 409.
    Les chroniques nous fournissent au début du Moyen Âge une liste d'hivers particulièrement froids et rigoureux, comme 763-764, 859-860, 1076-1077... Rappelons au passage que les grands froids ne sont pas les seules causes de famine : des épisodes pluvieux intenses, pendant l'été, peuvent aussi avoir des conséquences dramatiques en faisant pourrir les blés. Le moine Raoul Glaber raconte ainsi une famine dans les années 1030 en Bourgogne : « Des pluies continuelles avaient imbibé la terre entière au point que pendant trois ans on ne put creuser de sillons capables de recevoir la semence. Au temps de la moisson, les mauvaises herbes et la triste ivraie avaient recouvert toute la surface des champs ».
     Lorsque le froid s'y met, les horreurs dépassent l'imaginable : « Hélas ! chose rarement entendue au cours des âges, une faim enragée poussa les hommes à dévorer de la chair humaine. Des voyageurs étaient enlevés par de plus robustes qu'eux, leurs membres découpés, cuits au feu et dévorés. Bien des gens qui se rendaient d'un lieu à un autre pour fuir la famine, et avaient trouvé en chemin l'hospitalité, furent pendant la nuit égorgés, et servirent de nourriture à ceux qui les avaient accueillis. Beaucoup, en montrant un fruit ou un oeuf à des enfants, les attiraient dans des lieux écartés, les massacraient et les dévoraient. Les corps des morts furent en bien des endroits arrachés à la terre et servirent également à apaiser la faim... ».
   Après trois siècles de relative douceur, durant lesquels les récoltes se font plus abondantes et la population européenne triple en nombre, les hivers reviennent en force au XVe siècle et plus spécialement à partir des années 1550 et jusque vers 1860, durant ce que l'on a appelé le « petit âge glaciaire », avec une baisse de la température moyenne d'un peu moins d'un degré Celsius.
   L'hiver 1407-1408 est particulièrement froid et long, marqué par deux longs épisodes de gel, de la mi-novembre à la fin janvier, puis de la mi-février au début avril. Les fleuves sont gelés ou charrient des glaçons.
    Le ravitaillement par voie fluviale, essentiel au Moyen Âge, devient problématique et les moulins ne peuvent plus fonctionner, or ils représentent alors une source d'énergie essentielle pour de nombreuses activités.
   Le vin comme l'encre gèlent dans leurs récipients et le bois de chauffage se fait rare.
   Curieusement, c'est sans doute sous le règne du Roi-Soleil, Louis XIV, que les hivers apparaissent comme les plus rigoureux, les plus meurtriers aussi.
    Le début des années 1690 voit une alternance de grands froids et de canicules, ce qui entraîne l'une des pires famines connues : tous les registres paroissiaux enregistrent pour les années 1693-1694 une multiplication par trois ou quatre du nombre des décès, une baisse sensible du nombre des mariages et une diminution plus importante encore du nombre de baptêmes (par suite d'aménorrhées ou de dénutrition).
   L'historien du climat Emmanuel Leroy-Ladurie évalue à 1 300 000 le surplus de décès de ces années-là en France, sur une population d'environ 20 millions d'habitants.
    En 1708-1709, le pays, déjà épuisé par la guerre de la Succession d'Espagne, connaît un hiver exceptionnel, le « Grand Hyver » [orthographe de l'époque]. Le prix du blé est multiplié par plus de dix et ce n'est pas tout... On lit dans un registre paroissial de Tours : « Le pain était à peine sorti du four qu'il gelait, et le vin gelait visiblement en le versant dans le verre. On ne buvait qu'à la glace. On ne pouvait s'échauffer qu'avec le meilleur feu. On ne pouvait dans les rues distinguer les vieux et les jeunes parce qu'on avait pareillement la barbe et les cheveux blancs ». Le surplus de décès est évalué cette année-là à 600 000.
  Des émeutes éclatent au sein d'une population dont les registres paroissiaux disent l'exaspération et l'angoisse.
   Thierry Sabot (Contexte) cite le registre du curé de Vougy (Loire) : « Le soir du six janvier, il commença à faire froid, et ce froid fut si extraordinaire et si violent pendant cinq à six jours qu'on disait n'en avoir jamais vu un semblable. Le temps se radoucit et il fit quelques pluies et neiges, qui rétablirent en apparence tout ce que la rigueur du froid avait beaucoup mortifié. Mais il survint un second froid vers le vingt janvier, qui fut plus violent et plus aigu que le premier qui fit beaucoup de mal, puisqu'il tua et fit mourir beaucoup de pauvres, qui, s'étant couchés se portant assez bien, on les trouvait le lendemain matin morts par la rigueur du froid (...). La famine a été si grande qu'on ne peut concevoir la quantité de personnes mortes de faim dans les chemins en allant demander l'aumône. Il y en eut beaucoup de dévorées par les chiens et les loups ; enfin il est mort pour le moins la moitié des habitants de cette paroisse. Il est resté très peu d'enfants. De quatre cent dix communiants que j'avais en 1708, il ne m'en est resté que 240  ».
   Les années 1780 ont aussi été marquées par plusieurs phénomènes climatiques exceptionnels. L'éruption d'un volcan islandais, le Laki, en juin 1783, obscurcit l'atmosphère terrestre pendant les mois suivants, jusqu'à entraîner une baisse des températures. Également cité par Thierry Sabot, le curé du village d'Azolette, dans le haut Beaujolais, note dans son journal : « L'hiver de 1785 sera longtemps mémorable par la grande abondance de ses neiges. La campagne en fut couverte durant six mois, à peu près, c'est à dire depuis le mois de décembre 1784 jusque vers la fin d'avril 1785. Comme il en était beaucoup tombé durant l'hiver 1784, on n'eut jamais imaginé que le suivant en donnerait encore en plus grande quantité. On fut trompé. Il en tomba à deux ou trois reprises jusqu'à 13 ou 14 pouces... Il s'en fit partout en rase campagne, comme dans nos montagnes, des amas considérables, ces amas furent surtout occasionnés par une bise violente qui s'éleva le dimanche de la Passion 13 mars  ».
   L'hiver rigoureux de 1788-1789, précédé d'un été pourri, est à l'origine d'une tension sur le prix des céréales. Il n'est pas sans lien avec les événements précurseurs de la Révolution française et avec la place centrale du prix du blé dans son déroulement.
   Plus près de nous, le 1er février 1954, l'abbé Pierre, créateur du mouvement Emmaüs, lance son fameux appel à la radio en faveur des sans-abri : « Mes amis, au secours ! Une femme vient de mourir gelée, cette nuit, à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée...». Les Français se mobilisent. C'est le début d'un immense mouvement charitable. En pleine période de reconstruction, la question du logement est posée et reparaît dès lors à chaque hiver suivant, plus encore lors des hivers très froids, comme celui de 1956-57.
Sans abri sur une grille d'aération du métro parisien (DR)Les années 1960-1970 connaissent une embellie relative, exception faite du très rigoureux hiver 1962-1963. Le froid provoque une gigantesque panne d'électricité le matin du lundi 19 décembre 1978, la plus grande qu'ait jamais connue la France. Mais les rigueurs de cet hiver ne suscitent pas de grand émoi autour des sans-logis. Le problème du logement revient à l'ordre du jour et de façon de plus en plus cruciale jusqu'à nos jours du fait de l'arrêt progressif de l'effort de construction (300 000 logements neufs en 2010 au lieu de 500 000 par an dans les années 1960) et de la montée croissante de la pauvreté.___Le réchauffement climatique n'exclut pas quelques hivers froids. Celui de 2010-2011 apparaît en Europe occidentale d'une précocité inhabituelle du fait, paraît-il, d'un phénomène météorologique cyclique propre à l'Europe : l'Oscillation nord-atlantique (sigle anglais : NAO). Mais au niveau mondial, en 2009, le mois de novembre est d'après la NASA comme le plus chaud depuis les débuts de l'ère industrielle...
     Les deux plus célèbres désastres militaires dus au froid sont sans doute la retraite de Russie en 1812 - il semble que les troupes napoléoniennes aient été victimes d'un des plus froids hivers du siècle dans la région - et le revers subi par l'armée allemande à Stalingrad durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, l'histoire fournit aussi d'autres exemples de campagnes militaires rendues particulièrement pénibles ou, selon le point de vue qu'on adopte, facilitées par le froid....
(Merci à Hérodote)
_______________

Aucun commentaire: