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dimanche 3 avril 2016

De Rabat à Molenbeek et à Paris

 Point de vue
                        Eminent spécialiste du Maghreb, Pierre Vermeren nous donne sa lecture de certains événements présents à la lumière d'un passé assez récent.
  A propos des attentats revendiqués à Bruxelles par Daesh notamment, il nous donne un diagnostic, une grille de lecture intéressante et des pistes peu connues pour en comprendre, du moins en partie, la genèse et l'émergence.
   Il pointe l'ignorance et le laisser-faire des autorités, belges notamment.
       Mais aussi françaises dans un certain nombre de cas.
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                                                                               [Pour comprendre comment Molenbeek est devenu un « foyer » européen de l’islam radical, au-delà des causes socio-économiques, il faut aussi reprendre l’histoire de l’immigration marocaine en Belgique, du premier accord bilatéral de recrutement de main-d’œuvre entre la Belgique et le Maroc, il y a un demi-siècle, à aujourd’hui…        
     Cette histoire passe par le Rif, cette région du nord du Maroc pauvre et surpeuplée d'où viennent, pour ne citer que quelques exemples, la famille des frères Abdeslam (Bouyafar, près de Nador) ou encore les suspects Ahmed Dahmani (Al-Hoceima) et Ayoub Bazarouj (Beni Oulichek)…
 Totalement laissé à l'abandon par le royaume chérifien, le Rif est aussi un narco-État, le grenier à cannabis de l’Europe. Et la Belgique, sa principale plaque tournante. C'est le point de vue de l'historien Pierre Vermeren. Selon ce spécialiste des mondes arabe et nord-africain, professeur d’histoire contemporaine à Paris I-Panthéon-Sorbonne, qui a vécu au Maroc, en Égypte et en Tunisie, une partie des Rifains de Belgique (500 000 sur 700 000 musulmans d'origine) a été livrée aux prédicateurs salafistes, ouvrant la voie à la radicalisation.
    Entretien avec cet auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des décolonisations, de la guerre d'Algérie aux printemps arabes (Odile Jacob, novembre 2015) et La France en terre d’islam, Empire colonial et religions XIX-XXe siècles (Belin).]
           ____________ « L'histoire, l'origine et les activités des Marocains de Belgique expliquent le sanctuaire salafiste de Molenbeek », dites-vous…
     La majorité des immigrés « musulmans » du Benelux vient du Rif, à la suite des mineurs qui se sont installés dans le nord de la France dès les années 1950. Une partie de leurs descendants, faute d’emploi et de formation adéquate, se sont adonnés au trafic de haschisch, cultivé au pays, et certains ont versé dans le radicalisme religieux. Pourquoi ?
                       ___Le Rif est une montagne méditerranéenne au nord du Maroc à l’histoire chargée. Les Rifains d’Europe constituent une diaspora de plusieurs millions de personnes, souvent liées à leur terre d’origine. Cet archipel migratoire va des présides espagnols du Maroc aux Pays-Bas, en passant par l’Espagne (Andalousie et Madrid), la France (Nord-Pas-de-Calais et Corse), la Belgique (Anvers, Bruxelles, Liège) et les Pays-Bas (Rotterdam), avec des connexions en Italie.
   Souvent très remontés contre leur pays et sa monarchie, les Rifains se perçoivent comme un peuple à l’histoire tragique, une tragédie imputée au Maroc, à l’Espagne et à la France. De culture tribale et clanique, patriarcale et conservatrice au plan religieux et des mœurs, ils pratiquent le berbère du Rif, et les langues de la diaspora. Cela rend leur surveillance par les polices des divers pays très complexe. Après la crise du charbon et de l’acier, cette migration, renforcée après les émeutes de Tétouan-Al-Hoceima en 1984, s’est dirigée vers les villes, pour former de compacts îlots de peuplement : Amiens, le pays lensois, Roubaix, Bruxelles, Anvers, Rotterdam…
      Le commerce et la distribution du haschisch, produit dans le Rif par leurs cousins et clans, sont très rentables. Cette activité très structurée est un facteur d’enrichissement, mais aussi d’enfermement et de marginalisation. Comme ses sœurs méditerranéennes, la mafia rifaine et ses connexions utilisent des structures anthropologiques propres. Religiosité, omerta, révolte politique, sentiment d’injustice et de culpabilité, structures mafieuses, révolte contre l’islam à la marocaine, mauvaise intégration, réseaux transnationaux, refus des États… Tout cela a préparé la bascule dans le radicalisme religieux.
   Tandis que les Belges laïcs les laissaient tranquilles, les Rifains de Belgique, hostiles aux imams et policiers marocains, sont devenus une terre de mission des prédicateurs du Moyen-Orient, Frères musulmans comme dans le Nord-Pas-de-Calais, chiites, salafistes, wahhabites, déterminés à implanter l’islam radical en Europe. Lorsque la guerre en Syrie a débuté, les structures étaient en place. Restait à parfaire la « formation » de cette jeunesse au djihad.
         Mais analyser le cas Molenbeek à travers le prisme du Rif et de l’histoire de l’immigration marocaine en Belgique, n’est-ce pas réducteur, au risque de stigmatiser une population, une région ? Comme de faire de Molenbeek le temple du djihadisme européen. Les chemins qui mènent au terrorisme sont complexes et pluriels, comme les profils, qui vont du musulman très pauvre au converti classe moyenne. C’est d'abord une conjonction de causes sociales, économiques, politiques, sociétales… 
        Cette histoire n’a pas de causalité simple. Mais le djihadisme et les chefs de l’État islamique sont très opportunistes. Ils se saisissent des histoires individuelles et collectives, récupèrent des types fragiles et isolés, mais aussi des bandes de délinquants, des intellectuels en rupture de ban, des illuminés, des fanatiques, etc. Peu importe, dès lors que cela alimente leur combat. La bande de Molenbeek, composée de dizaines d'hommes et responsable des attentats de novembre 2015 à Paris et mars 2016 à Bruxelles, n’a pas été forgée par l’État islamique. Elle préexistait, mais s’adonnait à la délinquance. Infiltrée par des prédicateurs convaincants, comme Khalid Zerkani, elle s’est muée en réseau djihadiste.
   Pour les familles des criminels, traumatisées par ces événements, il y a une nécessité de comprendre. Ce n’est pas en cachant les origines des djihadistes que les choses s’amélioreront. Il faut dresser l’archéologie de cette rage qui s’est transmise à tant de jeunes Rifains, contre les États marocain, français et espagnol, et maintenant, j’allais dire presque par hasard, contre la Belgique. J’ai reçu de nombreux témoignages de bienveillance et d’amitié de Rifains d’origine, sensibles au fait qu’on parle enfin de leur histoire traumatisante. Comment une cause politique moyen-orientale a-t-elle détourné à son profit les cerveaux de tant de jeunes gens, sans faire avancer d’un pouce la cause du Rif et de son peuple ? L’intelligence collective doit faire la part des choses.
               Aussi conservateurs et religieux que soient une partie d’entre eux, les Rifains apparaissent pourtant, au Maroc, plutôt imperméables à l’islamisme. Quand on observe les résultats électoraux dans le Rif, les islamistes percent peu, notamment parce qu’ils font de la langue arabe leur pierre philosophale et que dans cette région, on défend exclusivement et ne parle très souvent que la langue berbère. La radicalisation touche avant tout ceux qui appartiennent aux dernières générations de la diaspora, nés ou venus enfants en Europe. Comment l’expliquez-vous ?
            La perméabilité à l’islamisme est complexe. Ses idéologues expliquent aux Berbères qu’ils appartiennent à la jahiliya, les temps préislamiques, et qu’ils doivent s’arabiser. Or non seulement le rifain est leur fierté, ce qui subsiste de leur autonomie historique – comme en Corse ou en Kabylie –, mais le Maroc indépendant, jusqu’à ces dernières années, n’a pas créé les écoles qui auraient arabisé la population. Les 3 ou 4 millions de Rifains du Maroc, y compris dans la grande ville de Nador, aux portes de Melilla, restent berbérophones. C’est la région du Maghreb qui préserve le plus fortement sa langue berbère.
     Deuxième problème, les partis islamistes marocains sont représentés par les élites arabophones honnies du Sud : Benkirane, leader du PJD et premier ministre, est un bourgeois de Rabat-Salé proche du makhzen, ce qui est rédhibitoire dans le Rif. Quant à la grande confrérie voisine des Berbères Beni Snassen, la Boutchichiya, elle est l’objet d’une lutte entre la monarchie et la confrérie Al Adl ou al Ihssane (Justice et bienfaisance), très arabisée. Les Rifains sont donc renvoyés à leurs saints locaux, à leur histoire, à leur héros Abdelkrim el-Khattabi et à leur langue. Dans le préside espagnol de Melilla, ils peuvent donner libre cours à leur amazighité, à leur hostilité au Maroc et à leur hispanité revendiquée, soutenue par la droite espagnole locale.
    Mais tout change en Europe du Nord. D’un coup, ils deviennent des « Arabes », ou des « Marocains » aux yeux de leurs hôtes… Si cela ne gêne pas les plus âgés, cela finit par énerver et complexer les plus jeunes. Or les prédicateurs islamistes, qui ont eu libre accès à cette population sans imam, jouent sur cette corde sensible. Pour eux, arabisation et conversion ne font qu’un : ces jeunes sont appelés à la vertu, à la prière, à laver leurs fautes, à se consacrer à Dieu par de bonnes actions – le martyre étant l’apothéose –, à arrêter de fumer et de boire, et à apprendre l’arabe ! Imams saoudiens ou autres ont appris à ces jeunes des rudiments d’arabe lors des cours de Coran des mosquées.
  Après un parcours de petite délinquance, voire de grand banditisme, le « retour à Dieu » et la montée au djihad se sont imposés à de jeunes Rifains de Belgique, à l’occasion de la guerre en Syrie. Les imams envoyés par Rabat, les indicateurs et policiers marocains n’ayant pas accès à ces populations, le processus a pu aller à son terme, même si les services marocains et français s’inquiétaient de longue date.
     Vous posez la question taboue de l’économie de la drogue. Car le Rif est aussi le grenier à cannabis de l’Europe, au vu et au su de toutes les autorités, et la Belgique, sa principale plaque tournante. Mais peut-on vraiment faire un lien entre trafic de drogue et terrorisme ?
                Les chiffres, les volumes, la chronologie et les acteurs sont connus, avec la bienveillance des États. Les polices arrêtent bien des dealers et des cargaisons, avec peut-être un peu plus de pression depuis quelques années, mais le trafic n’est pas sévèrement entamé. Avec près de 3 000 tonnes de résine de cannabis exportées annuellement, un chiffre d’affaires annuel de 10 à 12 milliards de dollars, une plantation de 70 000 hectares, et 90 % du haschisch en Europe de l’Ouest, de l’Espagne à la Belgique, cette région constitue la plus grosse zone de production mondiale. Complicités et corruption règnent autour de Gibraltar, conduites par de riches cartels, armés et dotés des moyens de transport les plus performants, qui placent leur argent en Europe pour préserver leur trésor de la prédation.
  Cela ne dérange pas vraiment les États. Le Maroc bénéficie de retombées positives, et la paysannerie du Rif mange à sa faim. L’Espagne reçoit investissements immobiliers et placements bancaires. La jeune République y a vu dans les années 1980 un moyen de calmer les forces de sécurité encore franquistes et les présides. Pour la France, c’est le moyen de stabiliser le Maroc, et de fournir subsides et activités aux quartiers d’immigration. Quant à la Belgique, elle ferme pudiquement les yeux, ses enfants, comme les jeunes Espagnols et Français, y trouvant une échappatoire au stress de la vie moderne !
   À proximité des zones de consommation et de trafic du Nord-Pas-de-Calais et de Paris, à proximité des Pays-Bas et de l’Allemagne, desservie par les autoroutes françaises et les ports d’Anvers et Rotterdam, la Belgique est devenue une plaque tournante majeure de ce trafic. La connexion avec le terrorisme était-elle évitable ? Peut-être. Mais c’est grâce à ses réseaux structurés, presque militarisés quant à leur capacité à passer les frontières, à se déplacer incognito, à acheter et utiliser des armes, à recruter des hommes solidaires et fiables, que le djihadisme européen atteint ce degré de « réussite ».
    Même les attentats de janvier 2015 à Paris, portés par de petits malfrats isolés, en quête de reconnaissance et d’identité, ne seraient pas sans lien avec les dernières affaires aux groupes nombreux, structurés et solidaires. L’État islamique ne s’y est pas trompé en leur confiant ses plus importantes opérations. La preuve avait été faite en 2004 à Madrid, l’attentat européen le plus meurtrier. Cela rappelle les Tchétchènes, peuple guerrier relégué et martyrisé par l’Histoire, montagnard et tribal, devenu le pire ennemi de la Russie, et une force de frappe de l’État islamique.
       En Belgique comme en France, les pouvoirs publics n’ignorent pas l’étendue du trafic de cannabis, ses ramifications du Rif aux banlieues. Comme ils n’ignorent pas que dans de nombreux quartiers devenus ghettos, des mosquées sont livrées à l’emprise wahhabite. Est-ce du laxisme pour acheter la paix sociale, de l’aveuglement, un abandon réfléchi des plus défavorisés ?
          On ne peut que le penser, mais je ferai une différence entre France, Angleterre et Belgique, et aussi entre cannabis et wahhabisme. La France est très proche du Maroc. Il y a un continuum entre élites françaises et marocaines, entre les armées et chefs d’État des deux pays. Vu de Paris, tout ce qui est bon pour le Maroc est positif. Personne ne se plaint de ce trafic considérable, la priorité étant la stabilité du royaume.
   Quant aux cités, à la France et aux jeunes, le haschisch, son commerce et sa consommation, sont une manière de stabiliser les jeunes de banlieue, les réseaux et les grosses cités, et de calmer les ardeurs à la révolte. En 2005, lors des émeutes de banlieue, on nous a expliqué que les cités du trafic n’ont pas bougé, comme s’il était gage de stabilité. A-t-on jamais vu l’éducation nationale se plaindre de la consommation de haschisch des jeunes garçons, alors que tout prof un peu observateur assiste à ses ravages scolaires ?
    Sur fond de délinquance s’ajoute la prédication religieuse. Aux yeux des élus et responsables politiques et administratifs, ignorants en matière d’islam, elle peut apparaître comme un sympathique exotisme, et le moyen de ramener l’ordre dans les quartiers livrés au chômage et à la délinquance. Ce cynisme est aussi une manière de fabriquer des clientèles électorales. En France, quand les Frères musulmans prennent en main une mosquée ou un quartier, ils instaurent leur ordre, dont pâtissent les libertés des filles et femmes : aller au café, sortir seule, s’habiller en jupe ou robe, avoir de petits amis, ne pas être voilée, pour finalement se marier à un « Frère ».
   Les « Frères » savent communiquer auprès des élus comme ils le font depuis des décennies dans les pays musulmans où ils ont rodé leur tactique. Contre la prédication libre, ils assurent l’ordre, nettoient le quartier, luttent contre la petite délinquance de rue et garantissent des voix aux élus, contre la promesse d’une mosquée ou d’une salle. Nombre de maires ou députés des deux bords leur doivent leur élection. Ce cercle vicieux dépasse le cas des Rifains.
    Pourtant, la France a un très long passé avec l’islam, et il y a suffisamment de musulmans d’origine, laïcs ou laïcisés, pour comprendre ce qui se passe. Mais le carriérisme des politiciens l’emporte. En Belgique et en Angleterre en revanche, je pense que les élus et les administrations n’ont rien vu venir. Au nom de la liberté absolue d’expression en Angleterre, ils ont laissé les islamistes les plus radicaux prospérer jusqu’en 2005, et peinent à faire machine arrière, car le communautarisme est roi.
  Quant à la Belgique, avec ses 500 000 Rifains sur 700 000 musulmans d’origine, elle a laissé salafistes et wahhabites faire leur apostolat. Tant que l’islam, y compris le plus radical, est perçu comme un aimable folklore, quand bien même il remet en cause les libertés et droits fondamentaux, notamment des femmes et des enfants, les conséquences dans les pays laïcs seront dramatiques. Dans tant de villes, on voit des petites filles prépubères voilées à la mosquée le week-end, ce que je n’ai jamais vu en sept ans de Maroc.
      Le royaume chérifien est tout aussi coupable en ouvrant un œil et en fermant l'autre, entre répression et indulgence…
        À Rabat, le trafic du haschisch est perçu comme un moindre mal : pourvoyeur de devises dans un pays qui en manque cruellement, mais aussi de stabilité dans le Rif, une région rebelle, et d’emplois dans le nord du pays et dans l’émigration. Sous Hassan II et Jacques Chirac, il n’était pas question de le remettre en cause, à charge pour les polices de maintenir un semblant d’ordre. À la fin des années 1990, quand les satellites de l’Union européenne ont détecté que la plantation rifaine débordait sur le Moyen Atlas avec 140 000 hectares, l’armée marocaine a détruit 70 000 hectares pour rapatrier la production dans le Rif. Cela n’a pas traîné. Depuis, c’est le statu quo.
   Tout le monde se satisfait de la situation. Certes, après les attentats de New York en 2001, le trafic à travers le détroit de Gibraltar s’est arrêté d’un coup pour trois mois, alors qu’on en était à 200 000 passages clandestins annuels, avec armes, drogue et corans. C’est la preuve que les États pourraient tout arrêter. On observe bien, depuis dix ans, des interpellations de cargaisons et camions par les douanes et services de gendarmerie dans le nord du Maroc.
   Mais ne s’agit-il pas d’abord de sanctionner des étrangers, qui peuplent la prison de Salé, ou les cartels ou familles qui refusent de rémunérer les intermédiaires et sécuritaires ? Les films Mektoub de Nabil Ayouch (1997) ou Gibraltar de Julien Leclercq (2013) ont illustré les modalités du trafic et la pratique des "cartels de la drogue" à travers le détroit. Des documentaires télévisés récents ont fait de même.
             Dans Le Choc des décolonisations, de la guerre d’Algérie aux printemps arabes (Odile Jacob, 2015), vous soutenez que la crise qui frappe le monde arabe, dont les monarchies pétrolières du Golfe, provient de l’échec des indépendances accordées par les puissances coloniales. Les États ont été libérés mais pas leurs ressortissants… Tout est lié ?
                             Le processus des décolonisations, conduit de manière désastreuse durant la guerre d’Algérie, a des conséquences de long terme. Les peuples arabes et berbères vivent depuis cinquante ans dans des États autoritaires. Certes, ces États sont libres en droit international, mais c’est la dictature en interne. Les Européens se sont engagés à ne plus mettre le nez dans leurs affaires intérieures, ce qui est normal après l’ingérence coloniale, mais fallait-il pour autant soutenir inconditionnellement les États ?
  Que se soit pour se réconcilier avec les États « arabes » après la guerre d’Algérie, pour maintenir la stabilité en temps de guerre froide et leur éviter le communisme, ou pour conforter les régimes autoritaires contre l’islam révolutionnaire depuis 1992 et la guerre civile algérienne, les États européens, France en tête, ont soutenu et soutiennent tous les régimes en place ; une seule exception, quand la France se retourne contre Kadhafi puis contre al-Assad après les printemps arabes. Ainsi, depuis un demi-siècle, les élites dominées et une partie du peuple subissent en silence, ou s’adonnent aux idéologies révolutionnaires, nationalisme arabe, marxisme-léninisme, islamisme…, ou tentent de quitter leur pays pour être libres.
  En 2011, le couvercle a cédé sous la pression des peuples, mais les séquelles de décennies de régimes militaires et dictatoriaux ne sont pas près de s’estomper. Car aucune culture démocratique n’a été diffusée dans ces pays depuis les indépendances. La Tunisie s’y essaye laborieusement depuis cinq ans, ce qui est remarquable mais très difficile.
    Comment sortir de l’ornière de la radicalisation en Europe ?
                       C’est un programme politique pour une génération ! Il faut couper le mal à la racine, et exfiltrer les jeunes générations de ces maux. En même temps, il faut déradicaliser les esprits captés par le salafo-djihadisme, ce qui sera long. Pour les jeunes, l’école doit avoir une ambition impitoyable. Il faut former à la lecture et aux sciences avec ambition, plutôt que de pleurer sur ces "pauvres petits enfants immigrés" en échec scolaire…
  La colonisation n’a pas eu beaucoup de mérites, mais quand la IIIe République implantait des écoles en Tunisie, au Maroc (très peu) ou au Sénégal, tout le monde était mis au latin, à la tragédie classique et à la poésie française, récitait et lisait en français, en latin et en arabe. Certes, cet enseignement était élitiste, mais penser que les cerveaux des petits élèves ne peuvent plus retenir quelques accents me paraît ridicule.
    Une ambition de l’école doit être de faire lire les grands textes de la littérature et de la philosophie, pour préserver les jeunes de l’aliénation et de la séduction des démagogues. Ce n’est pas pour rien que Boko Haram et les talibans d’Afghanistan brûlent des écoles et égorgent élèves et professeurs. L’Europe devrait être exemplaire dans ce domaine.  (Merci à Mediapart)
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