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vendredi 23 octobre 2015

Je dialogue, tu dialogues, nous dialoguons...

Us et abus du dialogue (social)
                                                 On n'a jamais autant dialogué qu'en ces temps.
  En ces temps pourtant si durs socialement ou personne ne semble écouter personne et où dominent, dans le domaine des faits économiques et sociaux, des butoirs et des contraintes fortes, des injonctions explicites ou implicites: there is no alternative. On n'aurait pas le choix...L'horizon est bouché, il n'a pas de grain à moudre...
    Les échanges concernant des changements de fond, politiques ou sociaux, rencontrent vite leurs limites, dans un contexte qu'on appelle de crise, engendrant tous les renoncements: les services de santé manquent de moyens, les salaires stagnent, la précarité monte, les injustices croissent, le chômage poursuit sa courbe. Le domaine des causes et des vrais remèdes est esquivé ou fait l'objet de palabres ou de velléités inconsistantes. Les chemins du néolibéralisme et de la finance mondialisée sont étroits...
  De nouveaux dogmes impérieux, sous une apparence amène, bloquent l'ouverture qu'impliquerait un vrai dialogue.
  Dès l'instant où le mot dialogue est évoqué, on devrait supposer qu'on est écouté réellement, qu'on est sur une voie de déblocage de situations figées, que le compromis est possible, le plus fort renonçant, du moins partiellement, à des exigences sur lesquelles il ne veut (ou ne peut ) se plier.
  Peut-on dire que Tsipras dialoguait avec les instances de Berlin, qui voulaient le ramener à tout prix à leurs exigences financières? Quel sens a le dialogue entre des délégués du personnel d'une entreprise où on licencie en masse sous la pression des actionnaires? On négocie juste sur des miettes, à partir de bribes d'informations souvent tronquées ou falsifiées..
    Bien souvent les dés sont pipés. 
Lundi, le Premier ministre a répété : « Pour réformer, la voie du dialogue social est la plus durable, la plus efficace, la plus apaisée et apaisante ».
Fort bien!
     Mais la notion de dialogue est souvent incantatoire, quand elle n'est pas piégée, et fait partie de la novlangue politique.
     Parler de négociations, dans un climat forcément plus ou moins conflictuel, est plus exact.
Le dialogue suppose un relatif apaisement, une relative transparence, une certaine égalité de niveau de conditions, de pouvoirs, une certaine symétrie dans les échanges.
  Or la plupart des conditions actuelles de discussion sur le droit du travail, par exemple,sont imposées avant d'être discutées.
         « Le dialogue social, c’est la marque du quinquennat », a une nouvelle fois assuré Manuel Valls aux partenaires sociaux qu’il recevait lundi pour préparer la conférence sociale des 7 et 8 juillet. François Hollande n’avait-il pas promis d’inscrire dans la Constitution l’obligation de consulter syndicats et patronat avant toute retouche du droit du travail ?..
 François Hollande a profité de la conférence sur l’emploi ce lundi pour rappeler aux partenaires sociaux l’importance du « dialogue social ». Se retrouver pour discuter n’est-il pas une attitude forcément saine ? La politiste Corinne Gobin en doute. L’expression « dialogue social », apparue pour la première fois en 1984 dans le cadre de la Communauté européenne, représenterait au contraire une manière de fermer le débat.
Dans Les nouveaux mots du pouvoir, l’auteure explique : « Le dialogue social représente une version dégradée, sur le plan de la qualité démocratique du fonctionnement des sociétés, des relations collectives du travail ». Cette recherche du consensus à tout prix disqualifie le conflit. Pourquoi s’opposer quand on peut dialoguer ? Le dialogue social menace alors la légitimité du droit de grève, souligne Gobin. « Le conflit et la confrontation sociale doivent être abandonnés au profit de relations sociales plus harmonieuses vécues comme des relations entre partenaires orientés vers un objectif commun, stimuler la compétitivité des entreprises, écrit-elle. Les dissensions entre "partenaires sociaux" ne proviendraient pas de visions antagonistes de ce qu'est une société, mais de malentendus : à force de dialoguer, de communiquer, l’on atteindrait une vision consensuelle de la marche à suivre pour gérer les sociétés de façon "efficace". » L’objectif final ne souffre aucune discussion : la création de richesse collective à travers l’épanouissement des entreprises, le capitalisme. En cela, la systématisation du dialogue social revient, selon Gobin, à déconstruire l’essence de la démocratie. Il n’est plus possible de proposer de projet alternatif..."
           Un leurre donc? Bien souvent. Une hypocrisie? Plus d'une fois..
L'asymétrie, les rapports de force dénaturent d'emblée l'engagement dans des processus supposés de solutions d'une impasse, d'une crise.
    En matière de droit du travail, dans le cadre de son détricotage progressif, au nom du progrès, c'est plutôt la flexibilité et l'allégement qui sont recherchés par l'une des parties... 
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                   "... Si la justice est si peu sensible au droit du travail, c’est aussi parce que ce droit est délégitimé par le pouvoir politique lui-même. Le droit du travail est d’abord délégitimé par un discours idéologique récurrent, pour ne pas dire omniprésent : l’idée selon laquelle le droit du travail serait « trop rigide », « trop complexe », un « frein à l’emploi », à la « croissance », etc. Ce discours pour le moins « compréhensif » est remarquable sur fond d’inflation du discours sécuritaire fustigeant depuis près de 20 ans un supposé « laxisme » judiciaire.
   Un tel discours a pour conséquence de légitimer les employeur(euses) en infraction, qui non seulement ne se vivent pas comme des délinquant(.es), mais se sentent conforté.es à contester le bien-fondé des contrôles de l’inspection du travail. Fanny Doumayrou relevait que « la déréliction qui frappe ce corps de fonctionnaires s’explique en premier lieu par l’injonction paradoxale qui fonde sa mission : maintenir dans les clous du code du travail des chefs d’entreprise que les gouvernements encouragent par ailleurs à prendre leurs aises ; offrir un garde-fou contre l’exploitation, mais sans jamais recevoir de l’Etat, également garant de la liberté d’entreprendre, les moyens d’assurer une réelle protection des salarié(es) »
   Mais surtout, ce discours s’est incarné depuis 30 ans en une succession de réformes visant à déréguler le droit du travail. Ce processus s’est accéléré ces 10 dernières années, avec l’extension continue des possibilités de déroger, par  accord collectif, à la loi au code du travail dans un sens défavorable aux salarié.es. La loi a ainsi perdu de son importance au profit de la règle négociée. Parallèlement s’est opéré un renversement de la hiérarchie des normes au sein de la négociation collective avec primauté à l’accord d’entreprise, c’est-à-dire là où le rapport de force est le plus défavorable aux salarié(es). On observe ainsi un mouvement de fond vers un éclatement et une individualisation de la règle de droit, notamment sur des sujets aussi importants que la durée du travail, la rupture du contrat, la majoration des heures supplémentaires,…) Mouvement de fond qui a pour effet d’éclater le salariat et sa capacité de réponse collective..."
   ____ Il existe des patrons de plus en plus décomplexés concernant le droit du travail: Lors des entretiens filmés de Royaumont, Alexandre de Juniac s’est dit prêt à remettre tous les acquis sociaux en cause, y compris l’interdiction du travail des enfants et le droit de grève. Pas étonnant que les syndicats de la compagnie aérienne ne veuillent plus discuter avec lui...
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Pour construire l'avenir d'Air France, des négociations loyales et une concurrence non faussée
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