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vendredi 23 mai 2014

L'Europe fait fausse route.

L'Europe: un objet non identifiable?
                                                                       Un discours à la peine dans le cadre d'une campagne sans ambition, dénotant l'épuisement d'un projet., entre la langue de bois habituelle et les excès de type libéral ou nationaliste...
   Les eurobéats inoxydables (de moins en moins nombreux il est vrai, ou de plus en plus silencieux) reprennent le théorème de Guetta, établi par P. Rimbert selon lequel il y aurait 3 principes intangibles :  toute réussite s’explique par l’Europe ; tout échec est imputable au manque d’Europe ; toute réussite et tout échec appellent davantage d’Europe.
       Ce mantra, d'essence quasi religieuse, cette croyance naïve ne peut plus fonctionner, car elle défie la réalité et escamote les analyses des dysfonctionnements finalement reconnus par de plus en plus d'individualités de droite (opportunistes?) ou centristes. Même Jean-Louis Bourlanges , inconditionnel de l'UE, exprime sa déception et son désarroi.
      Rocard, l'ambigü, tonne: "... l’Europe n’est pas commandée (...) Pis, elle donne l’impression de ne pas le souhaiter et en tout cas, elle ne le peut pas. Elle s’est donnée des règles qui lui interdisent d’être commandée», analyse l’ancien Premier ministre, faisant allusion à la règle de l’unanimité entre les Etats de l’Union qui prévaut dans de nombreux domaines de décision.    Et pour lui, «le départ de la Grande-Bretagne est la condition permissive à la reconstruction d’une Europe qui puisse et sache décider». «Pourquoi les pro-européens n’ont-ils jamais osé le dire? C’est l’une des hontes de cette campagne», estime-t-il, ajoutant même que la Grande-Bretagne «est membre de l’Union européenne par malentendu».    «Si dans les décennies qui viennent, nous ne construisons pas une Europe qui décide et dans tous les champs du politique, nul ne sait où l’on va», avertit-il encore..."
        Du point de vue de sa politique économique et de gestion de la crise, l'Europe fait fausse route.
Cela devient de plus en plus partagé, même si les analyses et les solutions comportent des divergences.
       Une  nouvelle donne semble cependant se dessiner, dénonçant le déficit politique européen inhérent aux structures existantes, à leur mode de fonctionnement et aux choix assumés:
   C'est Naulot, ancien banquier, qui le dit:  "Le meilleur moyen de maîtriser la dette publique, ce n’est pas de s’installer dans l’austérité et la déflation mais de sauvegarder la croissance, de tenter de convaincre l’Allemagne que si tous les pays de la zone euro pratiquent l’austérité, si la troïka continue ses opérations commandos en Grèce, la zone euro va droit dans le mur.
Et le meilleur moyen de maîtriser la dette publique c’est aussi d’éviter une nouvelle crise financière en respectant la feuille de route fixée par les G20 de 2008-2009 pour encadrer la finance. Pour le moment, cela n’est malheureusement pas le cas..."
     Le dumping social et les paradis fiscaux continuent à miner les institutions, à contredire les principes et à  décrédibiliser le discours convenu.
   Les promesses de changement ne prennent plus, surtout quand elles viennent de ceux qui sont enracinés à Bruxelles depuis si longtemps, comme M.Barnier.
     Un changement à la tête de la Commision ne changera pas grand chose: Juncker ou Schulz ? A la fin c’est Merkel qui décide...
    Mais  les Allemands découvrent le dessous des cartes.
          Il n'y a pas de peuple européen a décrété le tribunal de Karlsruhe..
                   Tout le problème est là. Ce projet hugolien, s'il est possible dans un proche avenir, reste encore à construire, mais sur d'autres bases.
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 Point de vue:
                       " Par ses travaux sur les structures familiales, Emmanuel Todd est l'un des principaux historiens de sa génération. C'est aussi un témoin engagé de son époque qui peut se flatter de n'avoir jamais été pris en défaut dans ses nombreux essais. Volontiers provocateur, il s'est attiré quelques inimitiés par ses interventions dans la presse et à la télévision mais rares sont les contradicteurs qui s'estiment assez armés pour lui faire front.
Herodote.net : À vous lire, on peut se demander si vous avez le don de prophétie. En 1976, à 25 ans, votre coup d'essai fut un coup de maître car vous avez annoncé dans La Chute finale l'effondrement à moyen terme du système soviétique sans connaître pour autant l'URSS.
Emmanuel Todd : Je vais vous l'avouer, il n'y a rien de miraculeux là-dedans ! Je fais simplement un peu plus attention que d'autres aux chiffres qui traînent partout. Par exemple, mon intuition sur La Chute finale est venue de ce que la mortalité infantile en URSS était en train de fortement remonter. C'est un phénomène exceptionnel et j'y ai vu l'effritement du système. J'en ai conclu que le pouvoir soviétique était condamné à brève échéance.
Plus récemment, en pleine guerre froide irano-américaine, j'ai pronostiqué avec mon ami Youssef Courbage l'entrée dans la modernité de l'Iran et de plusieurs pays arabes (Le Rendez-vous des civilisations, 2007). Ce n'était pas difficile, il suffisait de regarder le nombre d'enfants par femme et le pourcentage d'étudiantes à l'université. En adoptant une rationalité familiale proche des standards occidentaux, ces peuples étaient prêts à se convertir aussi à une nouvelle rationalité démocratique et politique.
                      En ce qui nous concerne, c'est différent. En écrivant L'invention de l'Europe, en 1990, j'ai pris conscience de l'extrême diversité anthropologique de notre continent et j'y ai vu l'illusion de réduire l'Europe à une construction étatique. Gardons-nous de sacrifier notre diversité car elle est la clé de notre dynamisme.
Pour cette raison, bien que partisan de l'Union européenne, j'ai voté Non au traité de Maastricht qui lançait la monnaie unique et, en 1995, quand mon livre a été réédité, je me suis hasardé à écrire dans la préface : « Soit la monnaie unique ne se fait pas, et L'Invention de l'Europe apparaîtra comme une contribution à la compréhension de certaines impossibilités historiques.
Soit la monnaie unique est réalisée, et ce livre permettra de comprendre dans vingt ans pourquoi une unification étatique imposée en l'absence de conscience collective a produit une jungle plutôt qu'une société.  »

Herodote.net : Nous y voilà ! Vous avez donc aussi voté Non au référendum sur le Traité constitutionnel en 2005 ?
Emmanuel Todd : Eh bien, pas du tout ! Quand la monnaie unique est arrivée, j'ai voulu faire preuve d'optimisme en bon citoyen européen et j'ai voté Oui au référendum. Mais la réalité nous a tous rattrapés...
Cela dit, j'ai été scandalisé par le viol du suffrage universel qu'a représenté le passage en force du traité constitutionnel sous le nom de Traité de Lisbonne. J'y vois un tournant historique avec le basculement dans une forme de post-démocratie. L'oligarchie s'assoit sur le suffrage universel... comme en Afghanistan où l'on affecte de prendre au sérieux des scrutins dont on sait pertinemment qu'ils sont massivement truqués. Nos parlementaires sont certes mieux élus mais ils n'ont pas plus de respect pour leurs électeurs et n'ont rien à faire de leur avis. Quand la révolte des Bonnets rouges a éclaté en Bretagne, les élus locaux n'ont rien vu venir et ils ont choisi de détourner les yeux ou de condamner les manifestants. Les discours sur la « fracture sociale » ou le « monde de la finance » ne servent que le temps d'une campagne. Rien à voir par exemple avec les débuts de la IIIe République en France.
Ce fossé entre les élus et les électeurs est bien plus grand encore au Parlement européen en raison du scrutin de liste à la proportionnelle, qui fait qu'on ne choisit pas une personne mais une étiquette, et plus encore parce que ce Parlement ne sert à rien !
Herodote.net : Le Parlement européen ne sert à rien ? Vous exagérez ?
Emmanuel Todd : Pas du tout. Voyez donc. Qu'il s'agisse de la crise financière ou des enjeux géopolitiques en Ukraine ou en Afrique, c'est au Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement, à la Banque Centrale Européenne et à la Commission européenne que se prennent toutes les décisions. Et c'est la Commission européenne qui détient le droit d'initiative alors que, dans toute véritable démocratie, il revient au Parlement.
Nous avons affaire à un « Parlement Potemkine », un vernis démocratique pour un système qui ne l'est pas. En toute confidence, les députés eux-mêmes ne se font pas beaucoup d'illusions. En réunion autour d'un verre avec d'anciens députés, ceux-ci ne m'ont parlé que de la maison qu'ils avaient pu acheter grâce à leurs indemnités !
Je constate que la Nation demeure le seul lieu au sein duquel nous pouvons faire valoir nos opinions par le vote. Et c'est le seul lieu où nos votes peuvent encore peser sur les choix de société.
Participer aux élections européennes n'a pas plus de sens pour moi que de voter aux États-Unis... quoique, si l'on me permettait d'échanger mon droit de vote au Parlement de Strasbourg contre un droit de vote aux présidentielles américaines, je choisirai ce dernier car, par son pouvoir de décision, le président américain a plus d'influence sur ma vie que les députés européens !
En conséquence, j'ai choisi de ne pas aller voter le dimanche 25 mai. Je ne veux pas apporter ma caution à une institution non démocratique et proprement illégitime.
Herodote.net : Comment ? Mais s'abstenir, ce n'est pas un comportement civique ! Et ce n'est pas comme ça que vous ferez bouger les choses ! Au moins, vous pourriez choisir de voter avec un bulletin blanc.
Emmanuel Todd : Voter blanc, c'est signifier que l'on croit en ce système et qu'il suffirait de changer le personnel pour l'améliorer et le démocratiser. Mais c'est une illusion. Même Le Monde, porte-parole des européistes, l'admet : tout ce qu'on peut attendre des élections, c'est de passer d'une orientation de centre droit à une orientation de centre gauche ! Que l'on vote ou non, cela ne changera rien au fonctionnement des institutions européennes, de la BCE comme de la Commission. Celles-ci continueront de tourner au-dessus nos têtes en ignorant le Parlement, ses députés et ses électeurs, de quelque parti qu'ils soient.
Ces institutions n'empêchent d'ailleurs pas les nations et les égoïsmes nationaux de s'exprimer. Quand le britannique BAE et le franco-allemand EADS ont voulu se rapprocher pour créer un géant européen de l'aéronautique, Angela Merkel y a mis son veto pour préserver les emplois allemands... En géopolitique, c'est encore plus net : chaque gouvernement agit selon ses intérêts en habillant ceux-ci d'une vague résolution européenne. La France agit seule en Afrique tandis que l'Allemagne mène la danse en Russie. Ce n'est pas un hasard si quatre des sept observateurs européens retenus en otage en Ukraine étaient Allemands.
S'abstenir, c'est signifier que l'on n'est pas dupe de la mascarade. C'est dénoncer l'européisme béat des partis classiques. C'est aussi dénoncer le Front National en mettant en évidence son appartenance au système. L'abstention massive aux élections européennes, si elle se vérifie, aura une conséquence pour le moins positive : elle témoignera de ce que la nation demeure le seul échelon démocratique au sein duquel peuvent s'affirmer les solidarités..." (Hérodote)...
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-L'Europe a perdu son projet
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