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mardi 28 juillet 2009

Rêve américain

L'usine à rêves, des origines à nos jours
__Une destinée manifeste?
____De la fondation à l'Empire








-Du
puritanisme des origines à la fascination contemporaine
-Origine du puritanisme
-Le calivinisme comme ciment
-Puritanisme et internationalisme

-Manifest destinity

-Les revers du rêve:
-USA: Obama et la santé
-USA: déclin programmé ?
-USA : séisme social
- USA : inégalités
-Colosse aux pieds d'argile?
-Howard Zinn: un Américain
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Le rêve américain : dissection - AgoraVox:

" « Le temps est venu de réaffirmer la force de notre caractère, de choisir la meilleure part de notre histoire, de porter ce précieux don, cette noble idée transmise de génération en génération : la promesse de Dieu que nous sommes tous égaux, tous libres et que nous méritons tous la chance de prétendre à une pleine mesure de bonheur. » (B.Obama)

Évoqué par un président métisse, beau et charismatique fraîchement élu, porté par la chaleur et le magnétisme de sa voix suave, le rêve américain ne peut exercer plus fortement son pouvoir mythique. Il ne peut être plus réel. Néanmoins, son sens reste toujours obscur. Comme si, du fait d’une utilisation récurrente et presque obsessionnelle, il n’était pas nécessaire de le définir.
-Qui voudrait d’un rêve pour trois dollars ? Qui peut encore, dans l’Amérique de 1931, alors en pleine Grande Dépression, croire que la prospérité est au coin de la rue, à portée de travail, de courage et de détermination ? Personne, calcule un éditeur. Il faut donc changer le titre de l’ouvrage qui lui a été proposé. The American Dream, une histoire des États-unis en un volume, devient The Epic of America [2].
Mais l’auteur, James Truslow Adams [3] - à qui l’on attribue la création de l’expression "rêve américain" [4], n’en démord pas : pas une ligne de son oeuvre ne sera modifiée. Son passage par la banque d’investissement - après des études de philosophie à Yale (!), lui permet de prendre ce risque. Ses arrières sont assurés. Sa motivation n’est pas pécuniaire. Il peut défendre son idée selon laquelle l’épopée américaine s’explique par l’existence d’un "rêve" :
... that American dream of a better, richer and happier life for all our citizens of every rank which is the greatest contribution we have as yet made to the thought and welfare of the world. [5]
Un rêve de dimension matérielle, et surtout spirituelle. Un rêve comme toile de fond du combat du quotidien, des privations, de la détresse éprouvée par les millions de victimes du marasme économique. Une réponse au vide moral creusé par l’avidité du milieu des affaires et le consumérisme ambiant. Un message d’espoir et de réconfort qui veut restaurer la confiance dans l’avenir, cruciale pour la reprise. Un héritage qui, James Truslow Adams en est convaincu, est la clé du sursaut. Son livre sera un succès. [6]
-Pour les tous premiers colons, des marchands aventuriers et des pauvres des campagnes de l’Angleterre, l’Amérique est un réservoir potentiel de richesses. Mais après quatre mois d’un voyage épuisant, la Compagnie de Virginie n’est pas au bout de ses peines. Jamestown [7] est une ville marécageuse très insalubre dans laquelle prolifèrent les maladies (scorbut, malaria, typhoïde, diphtérie etc.) qui déciment la population et l’empêchent de travailler. Ce qui fait dire au gouverneur de la colonie en 1611 que « chacun ou presque se plaint d’être ici ». Pas vraiment le rêve.
Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard que débarquent les colons qui vont être à l’origine du mythe américain. Ils sont des puritains, des dissidents persécutés par l’église anglicane officielle. Réfugiés en Hollande, ils décident de vendre leurs biens pour partir en famille, direction l’Amérique. Ils font étape en Angleterre, dans le port de Southampton, pour embarquer à bord du Mayflower (en 1620), qui doit les conduire en Virginie. Leurs motivations sont avant tout religieuses. Leur Amérique est rêve parce qu’échappatoire au cauchemar de l’intolérance et de l’oppression. Là-bas, les pèlerins pourront vivre leurs convictions en toute liberté et établir le royaume de Dieu sur terre. Une fois arrivés dans les territoires qu’ils baptiseront la Nouvelle-Angleterre - au lieu de la Virginie, ils découvrent une terre ingrate et isolée, un climat rude. Mais rien ne peut avoir raison de leur foi. Jamais les puritains ne doutent de leur succès. Chaque difficulté est surmontée en levant les yeux vers le ciel. C’est Dieu, qui a fait l’Amérique.
Cependant, derrière la lecture épique de cette histoire se cache une réalité moins reluisante. La traversée de l’Atlantique reste très éprouvante : l’insalubrité, la faim et la soif emportent souvent un voyageur sur dix. Sur place, les témoins déplorent la dépravation morale et dénoncent les nombreux adultères, l’indécence des tenues féminines, le développement de la prostitution etc. La pauvreté est souvent très mal vécue. Enfin, l’afflux constant d’immigrés d’origines de plus en plus diverses souffle sur les braises des tensions sociales. Les catholiques, les juifs, les irlandais et les pauvres forment la masse des indésirables. Les premiers puritains font montre d’une belle tolérance... à l’égard de leurs semblables.
Mais peu importe. Le décor est planté, le rêve est là et il magnétise déjà toutes les lettres qui sont envoyées en Angleterre. Celles-ci décrivent une terre magnifique, un jardin d’Eden qui apporte les trois bénédictions : la paix, la santé et l’abondance. Elles promettent à chaque immigrant une terre pour y construire sa maison, un champ propre à la culture et un pré le long du cours d’eau. Les âmes pieuses lisent cette publicité avec crédulité et sont irrésistiblement attirées. Plus rien ne les retient.
Deux cent ans plus tard - les années 1820, les lettres sont devenues des brochures qui parcourent toute l’Europe pour le compte des compagnies maritimes, des spéculateurs fonciers, des sociétés ferroviaires et des chefs d’entreprise qui ont besoin de main d’oeuvre et peuvent offrir des terres vacantes. Après les temps de l’indépendance [8] et la guerre de Sécession [9], l’immigration reprend donc de plus belle. Les histoires de self-made men (Carnegie [10], Rockefeller [11]) aiguisent les appétits des nouveaux arrivants en grande majorité sans qualification professionnelle. Ils espèrent, à force d’un labeur acharné, de frugalité et de sobriété, parvenir à la richesse - matérielle s’entend. Il s’agit de la deuxième version du rêve américain.
A la foi aveugle des pilgrims [12] se substitue tout un édifice philosophique : le darwinisme social. Cette doctrine est celle de Herbert Spencer, un philosophe anglais du XIXème siècle. Celui-ci explique grosso modo que la lutte pour la survie théorisée par Darwin [13] est également à l’oeuvre dans la société des hommes. Dans le capitalisme sauvage de la révolution industrielle états-unienne [14], la bataille du quotidien voit ainsi triompher les plus forts qui sont les plus doués, les plus méritants. Mais c’est la loi de la nature. Cette idée plutôt simple en apparence inspire les grands industriels de l’époque - Carnegie a révélé en avoir été illuminé, et sera chérie et développée par l’élite intellectuelle du pays.
Et comme d’habitude, les tenants du mythe omettent de découvrir le serpent derrière les fleurs : les millionnaires produits par la sélection "naturelle" le sont assez souvent devenus en utilisant les pires méthodes et se séparent très vite de l’ascétisme dont ils se parent volontiers devant leurs admirateurs. Ils prêchent, de surcroît, la liberté d’entreprendre tout en construisant des trusts prédateurs et liberticides.
C’est du côté que personne n’attend, d’une industrie que personne n’attend, et par l’action d’individus que personne n’attend que surgit la version moderne du rêve américain : Hollywood. Quelques juifs d’Europe centrale - Carl Laemmle (Universal Pictures), Adolph Zukor (Paramount Pictures), William Fox (Fox Film Corporation), Louis B. Mayer (Metro Goldwyn Mayer), Benjamin Warner (Warner Brothers) - qui ont pour trait commun une enfance vécue dans l’indigence, fondent dans la première moitié du XXème siècle l’empire des studios de cinéma, lequel sera jusqu’à aujourd’hui le principal vecteur de la culture américaine. Les projecteurs transmettent les images d’une Amérique parfaite fantasmée par ces hommes qui sont en quête d’anoblissement. Leur complexe d’infériorité vis-à-vis de l’establishment new yorkais les pousse à maquiller la réalité, à en recouvrir la moindre impureté. La pauvreté, l’alcoolisme et les violences domestiques sont très peu reflétés par les caméras. Avec l’arrivée du costume designer au sein des productions, le vêtement de scène n’est déjà plus celui de la ville et les films commencent de véhiculer des modes vestimentaires inaccessibles pour la majorité.
Ce matraquage marketing opéré par les studios, combiné avec l’émergence du tayloro-fordisme [15] et la réduction de la durée de vie des produits, engendre une certaine manière de vivre américaine, un certain art de vivre (!) consumériste : l’American Way of Life. La famille américaine modèle appartient à la classe moyenne. Le père et la mère, qui se sont rencontrés au lycée ou à l’université (et qui s’aiment toujours), et leurs deux enfants vivent dans une maison Levitt [16] située dans les suburbs [17]. Devant le garage trônent deux (au moins) magnifiques voitures flambantes neuves - très vraisemblablement de marque Ford, Chrysler ou General Motors. A l’entrée flotte un imposant drapeau américain gage d’un patriotisme sans faille. Les progrès techniques comblent la famille : le réfrigérateur, le lave-vaisselle et le lave linge facilitent la tâche de la mère au foyer ; papa s’est offert un rasoir électrique et peut désormais arriver à l’heure au bureau - il ne se coupe plus ; les enfants découvrent la radio, le poste de télévision couleur, et la publicité.
L’Amérique des trente glorieuses [18], en particulier, baigne dans le mythe de l’abondance cher à Jean Baudrillard [19]. Les malls, les grands magasins, les rues commerçantes et leurs étalages assènent « l’évidence du surplus, la négation magique et définitive de la rareté » [20]. Ils miment une « nature retrouvée, prodigieusement féconde » [21] - peut-être celle décrite par les premières lettres envoyées en Angleterre trois cent ans auparavant. Vus par un homme qui a connu la pénurie, la misère et le goulag de l’autre côté du rideau de fer, les États-unis ne sont pourtant pas le pays du rêve. L’Amérique est, pour Soljenitsyne [22], un supermarché ambulant dont l’impératif de consommation piétine toute dimension spirituelle. Une société matérialiste à l’excès créatrice de frustrations et de malheur. Dans Revolutionary Road [23], le romancier américain Richard Yates montre comment la douce léthargie du quotidien, son confort et la sécurité qu’il procure peuvent brider et emprisonner des individus mus par la fantaisie. Son jeune couple, bien conscient de l’illusion et de l’impossibilité du modèle américain, ne parvient pourtant pas à y renoncer.
Mais la classe moyenne n’est pas la plus à plaindre. Car le projet américain a toujours compris, depuis ses origines, son lot de laissés pour compte. Comment ne pas rappeler, tout d’abord, que les colonies ont été bâties en spoliant les Indiens déjà sur place, lesquels, s’ils osaient manifester la moindre réticence - et même s’ils n’osaient pas, étaient massacrés ou repoussés plus à l’Ouest - pour être massacrés un peu plus tard. Quant à ceux qui y échappèrent, ils furent décimés par les maladies, l’alcool et les armes. La naissance des États-unis repose donc en grande partie sur un génocide.
Leur développement économique et surtout agricole a eu pour socle une autre méthode douce : l’esclavage. Dans le cadre du commerce triangulaire [24], les descendants de Cham [25] étaient amenés par bateau pour travailler dans les plantations de coton, de tabac, de canne à sucre, de riz et de chanvre. Ils représentaient, dans certains états du Sud, plus de la moitié de la population. En dépit de l’abolition de l’esclavage, le racisme et la ségrégation légale puis de facto continuèrent de répandre du sel sur les plaies. Jusqu’au fameux discours de Martin Luther King - I have a dream [26] - et le concept de nouvelle frontière [27] - New Frontier - de John F. Kennedy qui revendiquent tous deux le rêve pour tous, sans considération de race ni de couleur de peau. Considérations qui, finalement, ont pris toute leur importance dans l’établissement des politiques de quotas de l’Affirmative Action [28].
Le critère éternellement discriminant reste, en définitive, le niveau de revenu. L’Amérique n’a jamais su ni jamais réellement voulu protéger ses pauvres de l’appétence de ses puissants. Des premiers indigents, dont les puritains regrettaient qu’ils ne se résolvent à leur sort, aux travailleurs pauvres modernes surexploités, surendettés, et souvent en surpoids, en passant par les misérables Okies [29] expropriés à l’usure magnifiquement dépeints par John Steinbeck dans Les raisins de la colère, il n’a jamais fait bon être pauvre aux États-unis. Malgré la démocratisation de l’enseignement supérieur et de la promotion de l’esprit d’entreprise, la mobilité sociale américaine est une chimère : elle est la deuxième plus basse des pays à haut revenus - après le Royaume-Uni. Pas vraiment de quoi pavoiser.
L’épaisse couche de fard qu’est le rêve américain ne résiste pas à l’éclairage des faits. L’Amérique est maquillée comme une voiture volée dont la couleur originelle apparaît à qui se donne la peine de gratter. L’élection de Barack Obama est le dernier coup de peinture en date, celui qui permet encore d’affirmer que le projet américain est « quelque chose de plus grand que la somme (des) ambitions personnelles, que toutes les différences dues à la naissance, la richesse ou l’appartenance à une faction » [30]. Celui qui permet de redonner consistance à un hypothétique rêve.
Certes, tout n’est pas noir en Amérique. Et pourtant. Difficile de ne pas y voir l’intolérance des communautarismes, la violence, le consumérisme poussé à son paroxysme, la négation du spirituel. L’empilement branlant des ambitions personnelles. Une minorité qui vit son rêve, et une majorité aliénée qui se contente de le rêver. (Romain LEFFERT)

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