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lundi 17 novembre 2008

Système qui se mord la queue ?



Le capitalisme est-il en train de s'autodétruire ?
."Face au malaise social, les gouvernements ne traitent le plus souvent que les symptômes, faute de prendre en compte le fond du problème. Ce problème, c'est l'absurdité du comportement des grands investisseurs, qui exigent des entreprises des résultats beaucoup trop élevés. Du coup, elles privilégient le rendement à trois mois plutôt que l'investissement à long terme , quitte à délocaliser, à faire pression sur les salaires et à renoncer à créer des emplois ici et maintenant. Voilà pourquoi il est urgent, expliquent les auteurs, de réformer profondément la gestion de l'épargne, d'imposer de nouvelles règles de gouvernance aux gérants comme aux régulateurs. Faute de quoi on n'évitera pas une nouvelle crise du capitalisme, avec toutes ses conséquences politiques et sociales." (J.Artus)



Le capitalisme compromet sa survie:

--------- Pourquoi, il y a quelques semaines, avez-vous dit de la crise des subprimes qu’elle était prévisible ?
Zygmunt Bauman : Il y a trente ans, un profond changement est intervenu dans la politique des crédits. Auparavant, les organismes de crédit escomptaient que leurs prêts soient remboursés en totalité, moyennant des intérêts. Les nouveaux organismes de crédit, cela dit, n’ont pas exigé que les prêts soient remboursés. Ils ont été plutôt portés à considérer les crédits comme un actif devant générer des profits permanents.
Les banques et les organismes de crédit ont tablé sur l’entretien continuel de leurs dettes, bien plus que sur des remboursements rapides. Un « emprunteur idéal » n’était plus une personne qui s’acquittait en totalité du remboursement de son prêt. Jusqu’au krach du mois dernier, la plupart des banques et des organismes de crédit étaient prompts à proposer de nouveaux prêts à des débiteurs insolvables, pour qu’ils recouvrent les intérêts impayés de précédents emprunts.
Ces trente dernières années, d’immenses efforts ont été consentis par les institutions financières afin d’ouvrir un grand marché en expansion continuelle des prêts bancaires et des cartes de crédit. Des efforts largement récompensés puisque, depuis 2000, la dette totale des ménages américains a augmenté de 22 %, tandis que l’endettement des étudiants a été multiplié par deux.
------- En réaction au krach, un retour à Marx s’annonce. L’« accumulation du capital », chère à Rosa Luxemburg, montre-t-elle ses limites ?
Z.B. : En l’occurrence, ne l’oublions pas, Rosa Luxemburg, que vous citez, a élaboré sa théorie de l’accumulation à l’encontre de Marx. Car elle reprochait à l’auteur du Capital de présenter un modèle atemporel et formel de l’accumulation capitaliste. Dans son paradigme théorique, Rosa Luxemburg a fait valoir que le mode d’expansion propre au capitalisme est indissociable de la malédiction qui le frappe. Bref, elle a montré que le capitalisme, aussi suicidaire que parasite, était une recette du désastre.
--- A quoi tient cette vision ultrapessimiste ?
Z.B. : Au fait que, pour se développer, le capitalisme a besoin de sociétés non ou précapitalistes, afin d’écouler ses excédents. Mais, en cas de succès, il prive de leur « virginité » précapitaliste ces mêmes sociétés dont l’offre abondante et continue est la condition de perpétuation du système capitaliste…
Ainsi Rosa Luxemburg dit-elle du capital qu’il « prospère à partir de la ruine des organisations sociales traditionnelles ». Et, « bien qu’un milieu non capitaliste soit indispensable à l’accumulation, [le capitalisme] se déploie aux dépens de ce milieu, en le dévorant ».
Comme on sait, les analyses de Rosa Luxemburg datent du début du XXe siècle. De façon aisément compréhensible, la théoricienne marxiste a circonscrit la tendance du capitalisme à « se mordre la queue » à la conquête impérialiste des terres vierges. Elle ne pouvait pas prévoir que le même mécanisme se reproduirait à chaque étape du progrès économique, bien après la fin des conquêtes territoriales. La crise des subprimes est le dernier effet de la tendance du capitalisme à « se mordre la queue ». Une autre stratégie relevant des méthodes de l’accumulation capitaliste a été ainsi réduite à néant : une fois de plus le capitalisme, dans son mouvement expansionniste, a dévoré le milieu indispensable à sa survie…
-------- En quoi l’effondrement des stratégies d’expansion du capitalisme prolonge-t-il vos analyses sur la « modernité liquide » ?
Z.B. : En fait, les phénomènes que nous observons à l’occasion de cette crise sont indissociables des analyses que j’ai développées sur la « modernité liquide ». La société de consommation et le remplacement progressif et irrésistible des structures sociales traditionnelles par des réseaux flexibles sont allés de pair. Ce sont des phénomènes qui ont dépendu l’un de l’autre et qui sont peut-être en passe l’un et l’autre de laisser place à quelque chose d’autre. La forme liquide de la modernité a été accomplie par un triple processus de dérégulation, de privatisation et d’individualisation, complété par le divorce du pouvoir d’avec la politique.

 « Si Marx était vivant, il dirait : -Je vous l'avais bien dit » (Photo : BinaryApe - FlickR - cc)
---- Par la dépolitisation ?
Z.B. : Disons que le triple processus de dérégulation, de privatisation et d’individualisation a donné naissance à une condition d’insécurité et d’instabilité dans laquelle le consumérisme pouvait s’épanouir tout en devenant simultanément une drogue. Dans S’acheter une vie (éd. Jacqueline Chambon, 2008), j’ai analysé plus étroitement l’affinité qu’entretient la crise du capitalisme avec cette modernité liquide.
----Justement. Sous le choc de la crise mondiale, glissons-nous vers un nouvel âge de la modernité, un âge « postliquide » ?
Z.B. : Sondez plutôt les prophètes ! Il y a de nombreux postulants à ce rôle… En ce qui me concerne, j’ai appris à ne plus jamais ajouter foi aux prophéties sur les formes futures de la vie sociale. Lorsque je regarde en arrière, les 83 ans de mon existence m’apparaissent comme un immense cimetière de prédictions…
Cela dit, de nombreux signes indiquent que nous approchons du changement que vous évoquez. Aux Etats-Unis, 70 milliards de dollars, soit près de 10 % de la somme que les autorités fédérales s’apprêtent à injecter dans le système bancaire américain, sont d’ores et déjà employés à régler les primes de ceux qui ont conduit le système à sa perte…
Aussi massives et imposantes que soient les mesures prises par les différents gouvernements, elles visent d’abord à « recapitaliser » les banques et à leur permettre de revenir à leur fonctionnement habituel. Autrement dit, tout est fait pour que les banques renouent avec les activités qui sont à l’origine de la crise actuelle.
Pour le dire une fois de plus avec les mots de Rosa Luxemburg, tout se passe comme si on voulait tirer encore un peu plus la queue du serpent, tandis que ce dernier continuerait à se remplir l’estomac. Le retour « à la normale », dans ce cas, est plutôt un retour à des solutions néfastes et potentiellement dangereuses. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore pris la peine de nous interroger sur la viabilité de cette société propulsée par le double moteur du consumérisme et de l’endettement.( Alexis Lacroix.)

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Rosa Luxemburg: Oeuvres III : L’accumulation du capital
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