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vendredi 17 octobre 2008

Faillite des économistes...

Rien à ajouter à cet article de Ludovic Lamant.
Grandeur et misère de l'enseignement de l'économie !
Ou comment cette discipline peut révèler ses liens avec la pratique , certains choix politico-économiques...
Aujourd'hui ,vu les circonstances , certains de ses présupposés se manifestent plus clairement.
On voit même des ultra-libéraux convaincus demander le retour à Keynes.
Ah! les convertis de la dernière heure!...

Crise: la grande faillite des économistes | Mediapart

Nous sommes en janvier 2007. Non sans mal, l'anthropologue Paul Jorion vient de trouver un éditeur pour publier un essai intitulé Vers la crise du capitalisme américain? (La Découverte, 2007). Sa thèse est explosive, presque trop énorme pour être prise au sérieux : le capitalisme financier aux Etats-Unis est sur le point d'imploser, victime de ses pratiques spéculatives. Mais cette crise, prévient-il, n'éclatera pas en Bourse. Elle surgira depuis le cœur des marchés immobiliers. A l'appui, une description pointilleuse de ce que Jorion nomme alors le «secteur sous-prime du prêt hypothécaire», le fameux «subprime» qui fera la Une des journaux quelques mois plus tard (on peut télécharger l'intégralité du chapitre consacré à l'immobilier ici).En somme, l'un des seuls livres, en langue française, à avoir anticipé la crise des crédits immobiliers aux Etats-Unis a été rédigé par un... non-économiste. Au moment de sa publication, l'ouvrage fera l'objet, au mieux, d'une indifférence polie de la part des confrères économistes. «J'ai bâti une théorie économique qui a été jugée irrecevable, jusqu'à ce que la crise vienne la confirmer», résume Paul Jorion à Mediapart, en attendant la sortie, début novembre, de son prochain livre, La Crise (Fayard).

Depuis les remous de l'été 2007, quid des économistes? Les plus médiatiques n'ont cessé de défiler, à tour de rôle, dans les colonnes des journaux, pour dire que non, vraiment, il ne fallait pas s'inquiéter, et que, oui, c'était certain, le plus dur était passé. Dans un entretien aux Echos du 13 août 2007, Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, chiffrait à 26 milliards de dollars les risques de pertes liées au «subprime» pour les banques américaines, avant de conclure: «Ce n'est pas avec un montant pareil qu'on détruit la finance internationale.» Le FMI a chiffré en mars 2008 le coût provisoire de la crise à 1.000 milliards de dollars.Frédérik Ducrozet, directeur des études économiques du Crédit agricole, estimait quant à lui, le 13 mai 2008, toujours aux Echos, que «l'idée selon laquelle le pire de la crise financière serait passé semble faire son chemin». Dans une tribune publiée le 7 octobre 2008 par le Wall Street Journal, le prix Nobel américain Gary Becker y allait de son mea culpa: «J'admets avoir fortement sous-estimé l'ampleur de la crise.»

Pourquoi la plupart des économistes n'ont-ils rien vu venir? Pourquoi certains se sont même complètement fourvoyés? Et pourquoi «les jeunes stars de la macroéconomie n'ont rien à dire sur la crise», pour reprendre l'accablant constat de Thomas Philippon, économiste enseignant à l'université de New York?Parce que l'école de pensée dominante est incapable de théoriser les «crises endogènes», répond sans hésiter Michel Aglietta, économiste au Cepii. «Pour ces économistes libéraux, qui s'appuient sur l'hypothèse des marchés efficients*, toute crise vient forcément de l'extérieur, et elle est donc par nature imprévisible!» explique Aglietta.Lui défend une autre approche, plus minoritaire, dite de l'instabilité financière, formulée par l'Américain Hyman Minsky. ..De son côté, Thomas Philippon, auteur du Capitalisme d'héritiers (Ed. du Seuil, 2007), pointe du doigt la «trop forte segmentation de la recherche académique». Faute d'«économistes généralistes», personne, ou presque, n'a pu observer la propagation de la crise, surgie d'un coin obscur du droit immobilier américain (le contrat subprime) pour se propager à l'économie réelle, passant par les dernières innovations de la finance (les mécanismes de «titrisation» et de crédit dérivés). «Il aurait fallu plusieurs cerveaux dans la même tête pour voir venir les choses», résume Philippon.Gilles Raveaud, professeur d'économie à l'Institut d'études européennes de l'université Paris-8, reprend l'argument, pour le pousser un peu plus loin: «Depuis des années, on a assisté à un morcellement du savoir économique terrifiant, avec l'apparition de spécialistes très pointus, ici sur le travail, là sur le commerce international... On se retrouve à l'université avec des thésards très calés sur leur sujet, mais dénués de toute culture générale en économie!» Et Raveaud, qui connaît bien la recherche américaine pour avoir enseigné deux ans à Harvard, de s'inquiéter de ces manquements: «Un économiste peut traiter du chômage, sans rien connaître aux marchés boursiers ou aux banques... C'est conforme à la théorie de l'équilibre général, selon laquelle on peut analyser le fonctionnement d'un seul marché pris séparément, celui du travail par exemple, puisqu'on suppose que les autres sont naturellement à l'équilibre. Mais cela ne tient pas!»

En fait, la macroéconomie des dix dernières années a subi de lourdes transformations. Vexés de ne pas pouvoir prétendre au statut de scientifiques purs et durs, la plupart des économistes ont versé dans un formalisme mathématique effréné, sur les conseils de Milton Friedman et ses collègues monétaristes. Profusion de courbes, modèles et équations, qui ont éloigné les chercheurs du monde «réel». Les maths sont devenues une fin en soi. Aveu de Thomas Philippon: «Nous étions devenus des enfants gâtés, puisque nous n'avions pas connu de vraie crise depuis longtemps. Sous la présidence Clinton, la politique monétaire était devenue répétitive. Notre intérêt pour le réel s'est donc logiquement atténué.» Une enquête étonnante, réalisée auprès des doctorants en économie des grandes facs américaines (téléchargeable ici), confirme ces propos. Plus de la moitié des personnes interrogées (51%) estiment que «connaître l'économie de façon approfondie» est «sans importance»... Et à peine 9% des thésards se disent convaincus du contraire («connaître le réel est très important»)

Et puis il y a ce best-seller international, tellement révélateur du refus de beaucoup d'économistes des années 2000 à se confronter à d'amples débats de société... Le livre s'appelle Freakonomicséconomie saugrenue», faute de meilleure traduction). Ecrit par Steven Levitt et Stephen Dubner, publié en 2005 aux Etats-Unis, un an plus tard en France (Denoël, 2006), l'ouvrage s'est écoulé à plus de trois millions d'exemplaires.

Du jour au lendemain, ses auteurs sont devenus les chefs de file d'une économie du coin de la rue, portée sur la résolution de problèmes très ciblés, ancrés dans le quotidien: l'importance du choix du prénom pour l'avenir d'un enfant, les limites de la politique de tolérance zéro mise en place à New York dans les années 90, les motivations d'un agent immobilier lorsqu'il décide du prix d'un appartement, etc.«Nous avons perdu notre optimisme dans la capacité à utiliser les outils de la science économique pour gérer l'économie et nous sommes passés à une approche plus microéconomique du monde», avait déclaré Levitt au New York Times, au moment de la sortie de son ouvrage. D'un côté, donc, le tout mathématique. De l'autre, retour à un empirisme jugé parfois trop étroit. Qu'ont provoqué ces bouleversements? Les économistes sont désormais devenus des techniciens, «en perte d'influence», selon Christian Chavagneux, journaliste à Alternatives économiques, et auteur d'un livre annonçant Les Dernières Heures du libéralisme (Perrin, 2007).Gregory Mankiw, professeur d'économie à Harvard et un temps conseiller de George W. Bush, a même théorisé cette déconvenue, dans un article devenu fameux, «The Macroeconomist as scientist and engineer» (2006). Au sein de la grande famille des économistes, il distingue les «ingénieurs», dans la lignée de Keynes, qui cherchent à comprendre le monde pour mieux agir sur le cours des choses, des «scientifiques», obsédés par la mise au point des modèles mathématiques de plus en plus poussés. En bout de course, Mankiw, catégorique, constate la victoire du deuxième groupe. En somme, les économistes ont de moins en moins d'influence sur les politiques économiques de leurs pays.Faux, semblent répondre à distance Anton Brender et Florence Pisani, économistes chez Dexia, qui préfèrent déplacer le problème: «Ce ne sont pas les économistes qui sont en cause, mais la gestion de la crise par les autorités! C'est comme si un petit feu avait pris dans un camping [la crise du subprime], et qu'il se propageait à l'ensemble des Alpes du Sud parce que les pompiers ont tardé à intervenir...» Brender et Pisani sont les auteurs d'un livre de référence, La Nouvelle Economie américaine (Economica, 2004), dont la thèse, au regard de l'actualité menaçante, ne manque pas de surprendre. En substance: si l'Europe est à la traîne des Etats-Unis, c'est parce qu'elle n'a pas assez innové en matière financière...Aujourd'hui encore, malgré les dégâts de la titrisation outre-Atlantique, ils persistent, convaincus des vertus «stabilisatrices» de la finance. A condition, précisent-ils, que soit mise en place une plus stricte réglementation, «à tous les stades, depuis la compréhension jusqu'à l'extension de la crise».
Dans ce contexte mouvementé, le climat universitaire devrait évoluer. «J'espère que la crise va déstabiliser les économistes, leur apprendre une forme d'humilité et de prudence intellectuelles», avance Pascal Combemale, auteur de plusieurs ouvrages d'introduction à Marx et Keynes. «La grande affaire dans tout cela, ce n'est pas la revanche des keynésiens (...), mais le fait que toute pensée critique, qui était inaudible depuis quasiment 20 ans en France, puisse à nouveau s'exprimer!» D'autres «hétérodoxes» lui emboîtent le pas, à l'instar de Gilles Raveaud: «C'est une bonne claque pour les économistes, qui manquent souvent de modestie par rapport aux chercheurs en sciences sociales
A première vue, la crise signe donc le grand retour des «post-keynésiens» sur les «nouveaux classiques», ces libéraux qui avaient repris la main depuis les années 70. Elle replace aussi sous la lumière l'économie des conventions*, incarnée par André Orléan. En fait, en produisant du «neuf», la crise a périmé certains concepts (exit les «anticipations rationnelles»* de Lucas, certes déjà bien malmenées avant la crise...), et remis d'autres idées au goût du jour. On en retiendra trois.

1 - L'asymétrie d'information
L'idée est admise de tous côtés: la grande débâcle de 2008 signifie la «victoire intellectuelle du Joseph Stiglitz des années 70-80», pour reprendre l'expression de Thomas Philippon. Non pas le Stiglitz pourfendeur du néo-libéralisme et de la guerre en Irak des années 2000, encore moins l'économiste en chef de la Banque mondiale de la fin des années 90. Mais celui qui théorisa le concept d'asymétrie de l'information*, travaux pour lesquels il reçut le prix Nobel, en 2001, aux côtés de George Akerlof et Michael Spence.Tous les agents économiques en présence sur le marché, effectivement, ne savent pas tous la même chose – sur la qualité des biens qu'ils échangent, par exemple. Ce qui a pour effet de déformer les échanges, au grand dam des néo-classiques, qui ne jurent que par la concurrence pure et parfaite*.Michel Aglietta explique pourquoi cette notion, ou celle, similaire, d'aléa moral*, est au cœur de la crise actuell : «Prenons l'exemple d'un courtier en crédit immobilier aux Etats-Unis. Il est rémunéré à la commission. Ce qui l'intéresse, ce n'est donc pas le risque inhérent au crédit qu'il accorde, mais le volume du crédit, afin d'être convenablement rémunéré. Le courtier n'a donc plus intérêt à évaluer le risque. C'est un aléa moral massif! Or, toute la chaîne de transmission des risques a fonctionné de la sorte ces derniers mois...» Les crédits «pourris» se sont échangés de main en main, sans que les agents connaissent l'exacte nature de ce qu'ils détenaient.
2 - La distribution des richesses C'est une question classique de l'économie politique, mais qui avait, ces derniers temps, déserté les programmes d'économie à l'université: les théories de la répartition*. «On va de nouveau faire le lien entre la croissance, et la façon dont les richesses sont distribuées», se félicite Gilles Raveau. Avec des auteurs classés à gauche, Marx et Keynes, et plus récemment, le «post-keynésien» Nicholas Kaldor.
3 - La théorie comportementale de la finance
D'après cette école, représentée par Daniel Kahneman (lui aussi prix Nobel, en 2002, et lui aussi membre de la commission Stiglitz), il faut introduire des éléments de psychologie collective au cœur de la science économique pour mieux comprendre les choses. L'acteur économique n'est plus forcément rationnel. Il peut être victime de ses préjugés, ou troublé par ses émotions. Appliqué au monde de la finance, cette théorie permet par exemple d'expliquer certains comportements de panique boursière des derniers jours.

>>Ce débat sur les conséquences intellectuelles de la crise est en train d'en réactiver un autre, plus ancien mais tout aussi virulent. L'affaire avait éclaté en juin 2000 avec une «lettre ouverte» d'étudiants en économie insatisfaits de l'enseignement qu'ils recevaient à l'université : «usage incontrôlé des mathématiques», pas assez de «pluralisme des approches» théoriques...Huit ans plus tard, les faits semblent leur donner raison. «On n'a jamais autant parlé de la crise de 29 qu'aujourd'hui, et pourtant, un étudiant diplômé peut très bien ne jamais avoir entendu parler de la crise de 29 à la fac, l'enseignement de l'histoire économique n'étant plus obligatoire», s'inquiète Gilles Raveaud.Alors que le rapport de Roger Guesnerie, rendu public le 3 juillet dernier, sur le contenu des manuels d'économie, continue de faire des vagues, Pascal Combemale, professeur d'économie en classes préparatoires au lycée Henri-IV, à Paris, confirme: «L'enjeu à court terme, porte aussi sur les sciences économiques et sociales [SES] au lycée, actuellement menacées de mort par la réforme en préparation de Xavier Darcos, et durement critiquées dans le rapport Guesnerie, justement parce qu'elles laisseraient trop de place au débat et à la diversité des analyses.» (Ludovic Lamant)

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