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mardi 10 octobre 2017

Sécurité d'abord?

Une loi qui fait débat
                          La question des rapports entre sécurité et libertés publiques, qui revient régulièrement, surtout dans les périodes troublées ou jugées comme telles, se révèle toujours être une recherche d'équilibre délicat.
      La loi antiterroriste en débat actuellement ne manque pas de susciter des réticences, voire des critiques.  Il n'y a pas à choisir entre sécurité et liberté, mais des juristes estiment qu'un accent trop marqué sur la notion de sécurité est un risque dont on ne mesure pas toujours les conséquences potentielles, surtout dans le grand public 
      Cette nouvelle disposition engendre des réticences même au sein des Nations unies.
           «  Dans le domaine de la lutte antiterroriste, la Cour européenne admet des procédures dérogatoires mais elle condamne toute restriction excessive et disproportionnée des droits et des libertés, précise Nicolas Hervieu. En matière de lutte contre le terrorisme, la CEDH tolère ainsi des gardes à vue plus longues que pour les infractions de droit commun, mais elle n’admet pas la disparition de toute garantie fondamentale. Dans l’affaire Brogan, en 1988, elle a ainsi estimé que le Royaume-Uni avait violé la Convention [européenne des droits de l’homme] en plaçant des Irlandais en garde à vue jusqu’à six jours et seize heures et demie sans les présenter à un juge. »
   Cette recherche d’équilibre est délicate – d’autant plus délicate que, depuis une trentaine d’années, le dispositif antiterroriste ne cesse de se durcir. En France, la première loi date de 1986 : après une vague d’attentats, les textes allongent la durée de la garde à vue à quatre jours, reportent l’intervention de l’avocat à la 72e heure, alourdissent les peines, autorisent les perquisitions domiciliaires sans l’assentiment des suspects, et créent un corps spécialisé de juges d’instruction et de procureurs. Depuis, l’arsenal antiterroriste s’est encore renforcé – allongement de la prescription en 1995, autorisation des perquisitions de nuit en 1996, autorisation de la fouille des véhicules en 2001, allongement de la garde à vue antiterroriste à six jours en 2011, intensificationdu renseignement en 2015.
  Ces mesures répressives ont-elles fini par rompre l’équilibre entre la lutte ­contre le terrorisme et le respect des libertés publiques ? Ont-elles dépassé la nécessaire « proportionnalité » prônée par les juristes ? « Je le crains, affirme Danièle ­Lochak. Avec le développement des écoutes, des surveillances, des assignations à résidence et des perquisitions, la police et la justice ont tissé une énorme toile d’araignée sur l’ensemble de la population – au risque de toucher des personnes qui n’ont rien à voir avec le terrorisme mais qui ont le tort d’être musulmanes. Il suffit de voir les dérives constatées pendant les premiers jours de l’état d’urgence pour s’en convaincre. Je ne suis pas sûre que ces graves atteintes aux libertés nous aient fait beaucoup gagner sur le plan de la sécurité.  »
   Mais la dérive sécuritaire n’est pas uniquement liée à un déséquilibre croissant entre liberté et sécurité. Ce qui inquiète les juristes, c’est surtout le changement de logique pénale engendré par l’intensification de la lutte contre le terrorisme. «  Le tournant a lieu en 2008, avec la loi sur la rétention de sûreté, explique la juriste Mireille Delmas-Marty. Voté dans le climat sécuritaire des années 2000, ce texte permet de priver de liberté, sans limite de temps, un individu qui a été jugé dangereux – même s’il a déjà purgé sa peine. La rétention de sûreté instaure donc une justice prédictive. Elle repose sur une logique de suspicion – fondée sur des pronostics – et non plus sur une logique d’accusation – fondée sur des preuves. C’est grave, car il est impossible de prédire à l’avance tous les comportements humains... »
     Faire de l'état d'exception une norme n'est pas anodin, ne peut être sans risques et peut  être source de nombreux abus, surtout sous un régime qui serait peu regardant sur les libertés publiques.
   De nombreuses associations de défense des Droits de l'homme se posent aussi des questions.
       Ce problème, qui n'est pas de détail, n'a pas fait l'objet d'un débat digne de ce nom. Il fallait du temps, de la profondeur et de la contradiction avant de parvenir à une formule plus équilibrée. Les amendements vont plus loin que les dispositions du texte. Le gouvernement a fait de la surenchère.
    Est-ce vraiment cela une sortie maîtrisée de l'état d'urgence?
        Nos droits essentiels ne valent-ils pas mieux? Les risques de dérives ne sont pas mineurs, sous ce régime ou sous un autre. L'Etat de droit est sérieusement écorné sans que le risque terroriste, réclamant surtout anticipation, surveillance et coordination renforcées soit vraiment réduit.
      "Désormais, au prétexte de motifs aussi flous qu’évanescents, l’Etat pourra décider de persécuter et d’harceler des terroristes potentiels dont la définition pourra allègrement être modifiée selon les circonstances ou le pouvoir en place."
       L'état d'urgence est toujours problématique, même s'il est pour un temps parfois nécessaire.
   Le slogan de la sécurité d'abord peut être lourd de périls futurs. La loi sera-t-elle régulièrement réévaluée, comme promis? La vigilance citoyenne s'impose.
                                 La France n’est-elle pas « malade » elle aussi parce que devenue indifférente à nos libertés publiques ? Mardi a été adoptée dans le silence général la treizième loi antiterroriste en quinze ans. Et celle-ci inscrit dans notre droit quotidien les dispositifs d’exception de l’état d’urgence. Qui a bougé ? Les ONG, associations et autorités indépendantes : elles ont noté d’une même voix – ce qui est rare – combien ces dispositions étaient attentatoires à nos droits fondamentaux. Pour le reste, rien, silence radio : le texte a été adopté à une écrasante majorité.

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