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jeudi 18 août 2016

Semences d'avenir

Graines de plantes, graines de vie
                                              Le débat sur les semences n'est pas un débat comme les autres.
           C'est de notre devenir alimentaire, celle de toute la planète, dont il s'agit
     Contrôler les semences, c'est contrôler la vie, sa diversité, les sources de l'alimentation, tout un patrimoine.
   Face aux risques de standardisation et de  marchandisation.
        Si des réglementations s'avèrent nécessaires dans ce domaine complexe, on comprend que la concentration de plus en plus grande des grands semenciers, qui ne sont pas par nature des philanthropes, pose problème.
   Surtout à l'heure où l'agriculture s'achemine elle-même vers des états  de concentration de plus en plus marqués, surtout dans le domaine de la culture des grains, où l'exportation joue un rôle majeur, dans le contexte d'une concurrence exacerbée.
       La privatisation les semences, de plus en plus marquée, n'est pas sans inquiéter ceux qui réfléchissent à l'avenir alimentaire des populations, à sa diversité, au type d'agriculture sous-jacent.
   Une inquiétude qui ne va pas sans une certaine discorde, qui traverse aussi de plus en plus le monde agricole.
   La sélection et la marchandisation des semences ont été élaborées selon des critères  bien  précis et construits: "la façon particulière dont est défini cet objet est loin d’être neutre. La qualification technique des semences ayant entre autre pour finalité la coordination d’activités productives tournées vers la recherche de rendement et d’efficacité, elle conditionne le choix d’un système agraire, et plus généralement d’un mode de développement. On cherche par exemple aujourd’hui à obtenir des variétés au plus haut rendement possible, adaptées à la mécanisation et supportant de fortes doses d’engrais chimiques et de pesticides. L’adoption de ce genre de variétés par les agriculteurs suppose qu’ils aient fait le choix de l’agriculture moderne, intensive et productiviste. La définition technique des semences porte donc en elle-même un choix de développement et les relations sociales qui lui sont attachées."
          Pour les plus critiques, l'Europe, dans une vision à courte vue, a verrouillé les semences anciennes, :
                   "Le premier catalogue de semences date des années 30. L’idée était d’éviter que les appellations de semences ne soient un grand foutoir, que les semences soient référencées, pour que tout le monde s’y retrouve. L’Europe a fait de même. Mais en 1997, un nouveau catalogue a été créé en France, pour les variétés potagères : les jardiniers du dimanche sont alors directement concernés, mais aussi tous les petits paysans qui n’utilisent pas les grosses semences F1 bien coriaces. Tout ça est géré par le GNIS (groupement National Interprofessionnel des Semences et plants). Ses membres, bien entendu, sont les acteurs majeurs de la filière, pas des petits paysans. Et que dit ce catalogue, adossé au droit français ? Des choses simples : toute semence qui n’y est pas inscrite est interdite à la vente, mais aussi à l’échange entre paysans. Le Ministère de l’agriculture assimile cette pratique à des ventes dissimulées. Vous avez bien lu : interdiction de l’échange.  Parce que c’est bien une censure pure et simple des pratiques ancestrales qui est interdite par décret gouvernemental. Une Hadopi de la semence…"
        Un vent de désobéissance  continue à souffler dans un monde paysan qui s'attache à la préservation d'espèces jugées obsolètes, voire illégales:
      "Clé de voûte de l’agriculture, la semence est le tout premier maillon de la chaîne alimentaire. La contrôler, c’est régner sur l’ensemble de la filière agricole et pouvoir jongler avec les marchés de la fertilisation, des produits chimiques et des équipements. Les cadors de l’agroalimentaire l’ont bien compris. Et pour s’assurer que l’agriculture conventionnelle prospère, ils se sont dotés d’un outil imparable: la loi.
  En France, seules les variétés inscrites au Catalogue officiel des espèces et variétés peuvent être échangées, gratuitement ou non, en vue de cultures commerciales. Géré par le Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences), le Catalogue a été créé en 1932 pour remettre de l’ordre sur ce marché alors désorganisé. Variétés différentes vendues sous le même nom ou variétés identiques aux appellations variables… Il était nécessaire de clarifier l’offre et d’assurer l’identité de la semence achetée par l’utilisateur.
Au fil des ans, le Catalogue est devenu une pomme de discorde entre les semenciers et les paysans non conventionnels. Pour ces derniers, il n’aurait servi qu’à évincer les variétés paysannes traditionnelles, inadaptées aux cultures intensives, à la mécanisation et aux pesticides. Freinant par ailleurs l’essor de l’agriculture biologique, dont les semences sont fréquemment éliminées par les critères DHS (distinction/homogénéité/stabilité), auxquels elles doivent répondre pour être inscrites et commercialisées légalement.
Selon Guy Kastler, membre de la Confédération paysanne, «une semence industrielle, homogène et stable, ne peut pas s’adapter aux différents territoires sans produits chimiques, contrairement aux semences paysannes, parfaites pour l’agriculture biologique». Pour le ministère de l’Agriculture, le problème ne vient pas des critères du Catalogue, mais du marché morcelé de l’agriculture bio, et des difficultés à rentabiliser son développement.
   «Alors que la France possédait la plus forte diversité de fruits au monde il y a quelques décennies, seulement cinq variétés de pommes sont commercialisées dans l’Hexagone aujourd’hui. Celles qui résistaient naturellement aux aléas climatiques et aux insectes ont été éliminées. Pourtant fragile, la fameuse Golden a été imposée sur le marché. Réclamant une trentaine de pesticides par an, elle représentait une manne financière pour les grands groupes de l’agrochimie», dixit l’ingénieur agronome Claude Bourguignon dans le film de Coline Serreau Solutions locales pour un désordre global.
Gâteaux, produits à base de céréales, légumes et fruits frais ou en conserve… Les pesticides sont présents dans tout ce que nous mangeons, ou presque. Car le Catalogue compte essentiellement des semences «standardisées», destinées aux cultures conventionnelles.
     Ces nouvelles variétés, issues de croisements industriels accélérés ou de manipulations génétiques, ne donnent les résultats escomptés que sous intrants chimiques. Une partie croissante d’entre elles est même de type «hybride F1»: des semences non reproductibles, qui offrent de bons rendements la première année tout en produisant des plants identiques (parfaits pour la mécanisation), gorgés d’engrais chimiques et de faible qualité nutritionnelle. En France, les F1 concernent surtout le maïs et le tournesol. On les trouve aussi chez la majorité des espèces potagères, comme la tomate.
   Parce qu’ils sont homogènes, stables et productifs, tous ces nouveaux standards répondent parfaitement aux critères du Catalogue, lesquels n’ont quasiment pas évolué en 80 ans. Ce qui n’est pas le cas des semences paysannes (sélectionnées et multipliées dans les champs des paysans). «Celles-ci ne sont pas toujours homogènes visuellement, surtout lorsqu’il s’agit de “populations végétales” qui mélangent plusieurs lignées génétiques», explique Jacques Caplat, de l’association Agir pour l’environnement.
   «Et trop rares sont les semenciers motivés pour travailler sur les semences bio, car l’activité n’est pas rentable, en particulier pour les céréales: pour être inscrite au Catalogue, la variété candidate doit avoir un rendement supérieur, ou au moins équivalent, aux quatre premières variétés de sa catégorie. C’est ce qu’impose notamment l’épreuve de VAT (valeur agronomique et technologique). Et puisque les tests sont effectués sous béquilles chimiques, les semences bio sont forcément moins productives.»...
         Quand le seul critère de l'efficacité et du profit finit pas s'imposer, c'est que l'agriculture suit un chemin qui demande correction...si c'est encore possible.
               L'importance vitale des semences a été perdue de vue ou est passée au second rang
Aujourd’hui, la situation a bien changé pour ceux qu’on appelle désormais les « exploitants agricoles » : le progrès scientifique est passé par là ! La spécialisation des tâches et la nécessité de maximiser profits et rendements lui ont emboîté le pas. Le métier de semencier est né, puis s’est industrialisé et est devenu aujourd’hui un business à part entière, représentant des dizaines de milliards d’euros à l’échelle mondiale. L’agriculteur, à présent, achète ses semences chaque année : des variétés certifiées, pour la plupart hybrides F1.
Il serait malvenu de contester les apports certains, en termes de rendement et d’homogénéité, des déjà très anciennes variétés « hybrides F1 » – voir le lexique ci-après. Mais force est de constater que leur généralisation a grandement contribué à la perte d’indépendance des agriculteurs et à l’érosion spectaculaire de la biodiversité cultivée. Pourquoi un tel succès ?       L’explication est simple : la standardisation des produits permise par les hybrides F1 est le mode de production le plus efficace dans une économie de marché. La recherche de l’efficacité, la mécanisation de l’agriculture, la spécialisation des métiers et des machines, les exigences des chaînes de distribution et de consommation, les attentes, créées ou réelles, des consommateurs, le mythe du progrès, une certaine euphorie liée au confort apporté par le modèle « supermarché », les politiques agricoles nationales et européennes... Tout le modèle alimentaire occidental s’est mis en place autour d’une agriculture essentiellement industrielle, combinant monocultures à hauts rendements, tendance à l’augmentation de la taille des exploitations, donc semences « améliorées » achetées en gros et intrants chimiques – engrais et « phytos ». Inutile de pointer les agriculteurs du doigt : la plupart se sont simplement adaptés pour pouvoir continuer à vivre de leur métier. Notons, par ailleurs, que la plupart des jardiniers, même bio, se sont eux aussi rués sur ces semences de variété hybrides F1 qui donnent de beaux légumes bien identiques et bien vigoureux grâce à l’effet d’hétérosis 
    Malgré les puissants mouvements d'homogénéisation,  les bibliothèques de semences se multiplient à travers la planète.
     Selon le Groupe sans but lucratif ETC, seulement trois entreprises contrôlent plus de la moitié du marché des semences dans le monde entier (ils on plus que doublé leur 22% de part de marché en 1996), tandis que les dix premières sociétés occupent désormais 76 pour cent du marché mondial. Monsanto possède seulement 26 pour cent du marché des semences du monde, avec Du Pont et Syngenta pas loin derrière.
    Un rapport 2013 de l’ETC Group montre l'étendue surprenante de la puissance de l'industrie sur le marché, à travers le panorama des semences, des produits agrochimiques, et de la génétique : Quatre entreprises contrôlent 58,2% des semences ; 61,9% de l'agrochimie ; 24,3% des engrais ; 53,4% des produits pharmaceutiques d'origine animale ; et, dans la génétique du bétail, 97% de la volaille et les deux tiers de la recherche de porcs et les bovins...
          La privatisation des semences n'est donc pas neutre, ajustée qu'elle est aux exigences de l'agrobusiness, dont le modèle est de plus en plus contesté, même au sein d'un certains monde agricole, certes encore minoritaire, mais soucieux de présent et de l'avenir des conditions de notre nutrition commune.
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