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jeudi 24 mars 2016

Rhéthorique guerrière en question

Vous avez dit guerre
                                           Point de vue et mise au point.
                                                    Sans minimiser les événements et leur caractère terrifiant, il importe  de veiller au sens des mots, de garder la mesure, en même temps que son sang-froid.
  Les mots ont leur importance, surtout quand ils ont une portée publique.
      ...     S'ils ont encore un sens
    Nous sommes en guerre, répètent certains journalistes et hommes politiques, parfois le menton relevé.
   Cette rhétorique frappe les esprits et renforce les émotions, suscite l'angoisse, voire la panique, c'est sûr. Mais n'en fait-on pas trop?
    Qu'il y ait affrontement, lutte, oui; âpre combat sans doute durable, coups de main abominables guidés par une idéologie haïssable, objet d'investigations policières et de répressions judiciaires, sûrement. Mais pas une guerre. 
    Chacun y va de ses excès, ajoutant la confusion à l'indignation.
     __________  Guerre totale ou... mondiale pour le président du Crif, et le pape François, qui a évoqué au lendemain des attentats un «morceau d’une Troisième Guerre mondiale». Guerre encore pour Alain Juppé. Pour le Figaro, qui en a fait sa Une. Pour Le Monde, dont le directeur a affirmé que «la France est en guerre. En guerre contre un terrorisme totalitaire, aveugle, terriblement meurtrier». Guerre aussi à n’en pas douter pour de multiples experts en tous genre, qui se succèdent sur les plateaux de BFMTV et d’iTélé.
    Pourtant, la plupart des philosophes, des juristes, des théoriciens politiques et des historiens spécialistes du sujet savent cette réalité: il ne s’agit pas à proprement parler d’une guerre, ou alors, seulement en un sens métaphorique. En un sens nouveau, et qui impliquerait de trouver un autre mot pour tout ce que nous avons appelé guerre pendant des siècles. Tout élève de Sciences Po, par exemple, qui a préparé son grand oral sait que la guerre, au sens traditionnel du terme, ne correspond pas aux événements du 13 novembre. Devant les jurés, celui qui tient à défendre que les actions terroristes menées par un proto-État non reconnu sur le plan international sont une guerre, a plutôt intérêt à avoir des arguments bien fourbis s’il ne veut pas écoper d’une note éliminatoire.
«Avant, tout était simple ou semblait l'être. La guerre, c'était, disait Alberico Gentili, un des fondateurs du droit public international à la fin du XVe siècle, “un conflit armé, public et juste”. Un conflit entre deux armées, deux duchés, deux royaumes, deux États», résume Nicolas Truong sur le Monde, dans un article au titre explicite: «La guerre est finie, les combats continuent»
       Ces derniers jours, rares ont été les voix qui ont pu se faire entendre dans ce concert belliqueux pour rappeler ces éléments simples de théorie politique, et mettre en garde sur une utilisation abusive du terme. Le professeur à Sciences Po et spécialiste des relations internationales Bertrand Badie s’y est essayé sur France Inter, en tentant la pédagogie face à l’impatience et l’incrédulité de ses intervieweurs Léa Salamé et Patrick Cohen: «Une guerre, moi j’ai toujours appris, et depuis l’aube de nos temps modernes, que c’est une tentative d’utiliser la force pour régler un différend entre États. Daech n’est pas un État, Daech n’a pas d’armée, Daech n’est pas dans une rationalité de négociation. Le propre de la guerre, c’est de pousser à un moment donné vers des négociations pour obtenir une fin politique précise, c’est-à-dire le règlement de ce différend.»  ___Même si certains justifient un emploi métaphorique du terme, la plupart des chercheurs que nous avons interrogés sont d’accord sur ce point: les attentats du 13 novembre ne sont pas une «guerre» à proprement parler.
     «La guerre, c’est une situation où ce ne sont pas simplement les enfants des autres qui sont impliqués. C’est la transformation profonde de notre société, où chaque individu qui est en âge de porter des armes peut être appelé à porter la mort et à la subir. Le reste, c’est de la métaphore, plus ou moins juste. Porter la guerre dans des zones comme en Syrie ne veut pas dire qu’on est en guerre», déclare François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, et président de l'International institute for strategic studies de Londres et du Centre de politique de sécurité de Genève.
      Ceux qui sont tous les jours sur le terrain de la guerre ont eux aussi trouvé ce terme abusif. Quel mot utiliserons-nous le jour où nous serons vraiment en guerre, où la population sera appelée sur le terrain de guerre, où les morts tomberont chaque jour? De quels mots disposerons-nous, lorsque nous aurons usé tous les précédents? «Ces derniers jours, j’entends beaucoup parler de “scènes de guerre, de “situation de guerre, de “médecine de guerre”. Mais il faut tout de même relativiser», a tenté de tempérer le photographe de l’AFP Dominique Faget, sur le blog making of de l’agence.
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